La rencontre organisée par le Medef Martinique à Madiana a offert un panorama des enjeux économiques auxquels le territoire est confronté. Acteurs publics, élus, chefs d’entreprise et représentants institutionnels ont largement partagé un même diagnostic : la transformation du modèle économique martiniquais est devenue une urgence, et elle reposerait sur trois piliers : l’investissement, l’innovation et la stabilité.
Cette convergence de vues témoigne d’une appréciation collective du débat économique local. Pour autant, derrière ce consensus se dessinent plusieurs limites structurelles qui interrogent la portée réelle de la stratégie esquissée.
Un diagnostic largement partagé mais peu hiérarchisé
Les interventions ont dressé une liste exhaustive des leviers de transformation : infrastructures portuaires et aéroportuaires, fiscalité attractive, dispositifs d’aide, logistique, numérique, intelligence artificielle, transition énergétique, tourisme, formation. Cette approche globale souffre d’un défaut majeur : l’absence de hiérarchisation stratégique.
Dans un territoire caractérisé par des ressources publiques et privées contraintes, tout ne peut être prioritaire à la fois. Or, sans choix clairs ni séquençage des efforts, le risque est celui d’une paralysie et au mieux, d’une accumulation de politiques sectorielles sans effet systémique.
L’investissement érigé en solution centrale, au risque de l’illusion
L’investissement est présenté comme le moteur principal de la transformation. Cette affirmation masque plusieurs réalités structurelles : faible rentabilité de certains secteurs, concentration économique, insuffisance du capital endogène. Attirer des capitaux sans interroger la gouvernance et la détention du capital peut conduire à une modernisation sans souveraineté économique.
La LODEOM : un outil de stabilisation plus que de transformation
Le dispositif LODEOM est largement évoqué, mais davantage sous un angle technique que stratégique. Conçu pour compenser des handicaps structurels, elle soutient l’existant et contribue à la paix sociale, sans structurer durablement de nouvelles filières à forte valeur ajoutée.
Logistique, innovation et transitions : des leviers à encadrer
L’insularité, la dépendance aux importations et les coûts logistiques sont bien identifiés. Toutefois, les réponses avancées restent souvent déclaratives. Le numérique, l’IA et la transition énergétique portent un potentiel réel mais risquent, sans diffusion large, d’accentuer les fractures économiques.
Tourisme : moderniser sans repenser le modèle
Le tourisme est analysé sous l’angle de la modernisation et de la rentabilité, sans remise en cause profonde d’un modèle dépendant, vulnérable et faiblement créateur de valeur locale.
Au final, une rupture politique nécessaire
La transformation économique de la Martinique ne doit pas se contenter d’un consensus de façade ou d’une addition de dispositifs techniques. Le territoire prend le risque de moderniser ses dépendances plutôt que de conquérir sa souveraineté économique. Investir sans maîtriser le capital, innover sans diffuser, attirer sans gouverner, c’est organiser une croissance sous tutelle. C’est pour paraphraser Aimé Césaire “danser au carnaval économique” des autres.
Le véritable enjeu n’est pas d’adapter la Martinique à un modèle économique conçu ailleurs, mais de rompre avec un système qui stabilise la dépendance au lieu de produire de l’autonomie. Tant que les priorités ne seront pas clairement assumées, tant que la question de la détention du capital, de la valeur créée et de sa redistribution restera évacuée du débat public, la “ transformation” restera un mot creux.
La Martinique est à la croisée des chemins : soit elle accepte de rester une économie d’exécution, modernisée mais subordonnée, soit elle engage enfin une stratégie politique de développement, fondée sur le contrôle des leviers économiques, la montée en compétence collective et la reconquête de sa capacité à décider pour elle-même. Ce choix n’est pas technique. Il est éminemment politique et doit se faire en symbiose avec le personnel économique.
Gérard Dorwling-Carter



