Dans une tribune publiée dans « Le Monde », et dans son style littéraire de haute volée, l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau aborde la crise persistante en Martinique, expliquant que ces difficultés dépassent la seule problématique du coût de la vie. Il critique un système économique artificiel, à orienté vers la France et l’Europe, négligeant les potentiels qui pourraient émerger des Caraïbes et des Amériques.
Chamoiseau emprunte le concept de « consumation », développé par l’économiste martiniquais Michel Louis, pour décrire la dégradation d’une société face à un modèle économique global qui, en minimisant les contraintes, dilue ses fondements culturels, politiques et sociaux. Ce phénomène est particulièrement marqué dans le « système-outremer » français, qui combine un capitalisme mercantile avec un héritage colonial persistant. Selon lui, cette structure engendre une invivabilité permanente, alimentée par un capitalisme et un colonialisme qui se renouvellent au sein de leur propre logique.
L’auteur fait état d’un consensus fataliste parmi les différents acteurs – des décideurs aux militants décoloniaux – piégés dans une dynamique où la résistance figée dans un pragmatisme désuet. Il critique la pensée indépendantiste, qu’il considère manichéenne et déconnectée des réalités contemporaines du capitalisme globalisé, ainsi que de la structure même du système-outremer.
Chamoiseau met en lumière les multiples précarités exacerbées par cette matrice coloniale, allant de l’économie à la culture, et souligne la domination d’un modèle économique qui privilégie les intérêts des monopoles au détriment des réalités locales. Il évoque la dépendance alarmante de la Martinique, où plus de 80 % des biens consommés sont importés, ce qui crée un lien d’asservissement entre les populations locales et les acteurs économiques extérieurs.
Cette situation est aggravée par un statut juridique qui limite les capacités d’action politique, renforçant ainsi une déresponsabilisation collective. Chamoiseau note que, malgré les divertissements qui apaisent temporairement les angoisses, la pulsion consumériste continue de croître, alimentée par un imaginaire occidental qui marginalise la production locale.
L’écrivain déplore également que les causes justes et les luttes légitimes soient souvent hystérisées sur les réseaux sociaux, accusant le colonialisme ou les élites, sans jamais remettre en question le système qui les produit. Il dépeint une société où l’individu est réduit à un rôle de consommateur, perdant ainsi son libre-arbitre face aux dynamiques marchandes.
Enfin, il rappelle la proposition faite dans son ouvrage « Faire-Pays » une réflexion sur la nécessité d’une réappropriation politique pour les peuples-nations des Antilles, plaidant pour une reconnaissance de leur identité unique qui permettrait de mieux affronter les défis modernes. Chamoiseau conclut en affirmant que la véritable émergence des sociétés caribéennes passera par un affrontement conscient des enjeux globaux, tout en préservant leurs spécificités culturelles.historiques.