Cet éditorial de Michel Branchi, dans la dernière livraison du journal Justice, expose la situation économique et sociale de la France et par voie de conséquence celle de notre pays. Qui peut véritablement contester les chiffres exposés: ceux de la misère et de la pauvreté d’une grande partie de la population.
— Nous vivons un moment décisif et peut-être avons-nous atteint un point de non-retour. Nous, peuples des pays dits d’outre-mer, traversons une période particulièrement difficile par son caractère sans doute inédit.
Nous l’avons rappelé dans notre dernier éditorial : deux crises se télescopent actuellement en Martinique.
D’un côté, la crise de régime en France, accompagnée d’une crise financière sans précédent, ne peut qu’avoir des retombées dommageables pour le peuple français, et elles seront pires encore pour nous, peuples des DOM, déjà frappés par le mal-développement et la dépendance créée par le système vis-à-vis des transferts publics et sociaux de l’État français.
De l’autre côté, notre pays connaît une crise globale, tant sur le plan économique, social que sociétal : collectivités en difficulté financière, faiblesse et recul économique, accroissement de la pauvreté, chômage élevé, vie chère, dépendance alimentaire, exode de la jeunesse, etc.
Les inégalités sociales, surtout, sont ici considérables et croissantes : les pauvres sont plus pauvres et les riches plus riches. Elles sont ressenties comme injustes et insupportables.
Quelques faits marquants
- En 2023, 33 000 à 35 000 personnes émargeaient au RSA, soit 635,71 € pour une personne seule, alors que le seuil de pauvreté est estimé à 1 216 € par mois. 36,4 % des Martiniquais vivent avec moins de 833 € par mois (déclarations fiscales 2023), soit moins de 5 % des revenus martiniquais. Dans le même temps, 9,2 % des Martiniquais concentrent des revenus supérieurs à 4 167 € par mois, représentant 35,9 % des revenus déclarés, soit cinq fois plus.
- De 27 % à 33 % des Martiniquais vivent sous le seuil de pauvreté (contre 14 % en France). Autrement dit, entre 3 et 4 Martiniquais sur 10 disposent de moins de 780 € par mois pour vivre.
Dans le même temps, la « vie chère » imprègne l’économie : l’alimentation coûte 40 % plus cher qu’en France hexagonale, en dépit de quelques baisses arrachées à coups de diminutions ponctuelles de l’octroi de mer et de la TVA. Depuis la chute du gouvernement Bayrou, le projet de loi « vie chère » promis par Manuel Valls est-il en panne ?
Une crise démographique et sociale profonde
Notre société est également frappée par une grave crise démographique, qui fait de la Martinique la région « la plus vieille de France », avec une population en baisse depuis une dizaine d’années.
Chaque année, environ 4 000 habitants, dont une majorité de jeunes, quittent l’île. Cet exode alimente un cercle vicieux : les difficultés économiques et sociales provoquent le départ des jeunes, et ce départ accentue encore ces difficultés. Il faut briser cet engrenage mortel.
Conséquence directe : la criminalité et la violence progressent, avec l’extension du narcotrafic et du commerce des armes. Encore un meurtre cette semaine à Bôkannal : le 29ᵉ de l’année.
Pendant ce temps, les organismes officiels (IEDOM, Insee) annoncent que l’économie recule depuis le début de l’année et que le chômage remonte (voir article dans ce numéro).
Un système à bout de souffle
La Martinique est en vérité coincée dans un système de type néo-colonial, qui étouffe son économie et entrave la prise de décisions locales, du fait du maintien de la dépendance à l’égard de la France et de l’Europe. Le système issu de 1946 est « à bout de souffle », reconnaissent tous les observateurs sérieux.
Retrouver confiance et unité
Il nous faut opérer un sursaut et prendre en main notre destin commun. C’est sur cela que doit déboucher le prochain Congrès des élus.
Pour y parvenir, nous devons chasser nos vieux démons : la peur du sempiternel chantage au largage, la division chronique de nos forces, la perte de confiance en nous-mêmes instillée par le colonialisme, la persistance de l’assimilationnisme qui nous pousse à refuser notre personnalité, etc.
Il nous faut regarder l’avenir avec confiance. La Caraïbe, proche de nous, se construit. Le Sud global se redresse, les BRICS émergent, etc.
Alors, engageons-nous à reconstruire la Martinique pour bâtir un pays nouveau.
Michel Branchi, membre du BP du PCM, rédacteur en chef de Justice (28/09/2025)