Sous un ciel lourd de menaces dans l’Hexagone
Sous un ciel alourdi en France par les crises politiques, institutionnelle, économiques, financières et technologiques, voire aussi plombé par les incertitudes ouvertes à l’heure des congrès sur l’autonomie — sans visibilité ni vision prospective du lendemain — un nouvel ordre mondial se dessine, porteur de menaces directes pour la Guadeloupe et la Martinique.
Tandis que la France vacille sous l’effet d’une instabilité prolongée, l’économie nationale s’enlise dans la crise de défiance : la confiance s’effondre et les repères traditionnels du travail se délitent.
Le coût d’une défiance généralisée
Tout cela se traduit par un absentéisme massif et un désintérêt professionnel marqué, notamment chez la génération Z. Selon un économiste, l’absentéisme pourrait en réalité coûter plus de 100 milliards d’euros à l’ensemble du budget — bien au-delà des 17 milliards supportés par la Sécurité sociale au titre des arrêts maladie.
Pour réduire ces absences, il faudrait s’attaquer aux causes profondes du mal-être au travail. Mais le chantier s’annonce ardu : les entreprises, sous pression, tendent plutôt à durcir les conditions de travail. Les acquis sociaux sont ainsi fragilisés.
La revanche des employeurs
« Retour au bureau, pression, zéro flexibilité… Depuis six mois, l’atmosphère a radicalement changé » : dans les entreprises, les directions reprennent la main. Depuis que le marché du travail s’est retourné, les salariés ne sont plus en position de force pour réclamer augmentations ou avantages.
En quête d’efficacité immédiate, les employeurs rognent sur le télétravail et accroissent la pression sur leurs équipes. À ces tensions s’ajoutent les conséquences déjà prévisibles d’une crise institutionnelle profonde, née de la dissolution de l’Assemblée nationale et de la démission de Sébastien Lecornu.
La révolution silencieuse de l’intelligence artificielle
Un bouleversement d’une tout autre ampleur s’ajoute à cette crise : celui engendré par la révolution technologique et l’irruption massive de l’intelligence artificielle. Près de la moitié des entreprises dans le monde ont déjà réduit leurs effectifs à cause de l’IA, et plus de la moitié prévoient d’en employer moins dans les années à venir.
Ce choc silencieux, qui transforme les fondements du marché du travail, menace d’accentuer le déséquilibre économique et social des territoires ultramarins, déjà fragilisés par la précarité et la désespérance des jeunes générations confrontées au chômage de masse.
Le travail à l’épreuve de l’algorithme
Les premiers effets concrets de cette mutation se font déjà sentir. Selon le cabinet LHH (groupe Adecco), 54 % des entreprises mondiales prévoient d’employer moins de personnes dans les cinq prochaines années en raison de l’IA. L’algorithme supplante désormais l’humain dans des tâches toujours plus nombreuses — y compris créatives.
Des entreprises comme Microsoft reconnaissent que 30 % de leur code informatique est généré par des systèmes d’IA. Derrière ces chiffres se cache une rupture sociale majeure : la fin de la stabilité professionnelle, remplacée par une reconversion permanente.
Les experts évoquent une « obsolescence accélérée » des compétences, que la formation professionnelle ne parvient pas à compenser. Seuls 37 % des salariés licenciés à cause de l’automatisation retrouvent un emploi dans les trois mois — contre 46 % pour les autres.
Les Antilles face au choc technologique
Dans les Antilles, où l’économie repose principalement sur les services publics, le tourisme et le commerce de proximité, cette révolution technologique risque d’avoir un impact dévastateur.
La robotisation des services administratifs, la numérisation du secteur bancaire et la montée du tourisme intelligent pourraient marginaliser des milliers de salariés peu qualifiés. Le risque est aggravé par le faible accès à la formation continue et aux filières technologiques.
Le prix du désordre hexagonal
L’économie française, elle, paie le prix fort de son désordre institutionnel. Selon l’OFCE, seize mois de crise politique ont coûté 15 milliards d’euros et amputé la croissance de 0,5 point. L’investissement se fige, la consommation recule et la défiance des marchés fait bondir les taux d’intérêt à plus de 3,5 %.
Cette hausse fragilise le crédit immobilier et rend l’accès au logement toujours plus inabordable — notamment pour les jeunes Antillais. Dans des sociétés déjà minées par la vie chère et l’emploi précaire, l’effet est dévastateur.
Une jeunesse en détresse psychologique
Mais au-delà des chiffres, c’est le tissu humain qui s’effiloche. En Guadeloupe et en Martinique, la crise économique et financière s’accompagne d’une détresse psychologique croissante.
Selon une enquête de la Mutualité Française, 39 % des jeunes ultramarins se déclarent en dépression — contre 25 % en métropole. Les taux atteignent 44 % en Martinique et 37 % en Guadeloupe.
Manque de soins, tabous culturels, pénurie de psychiatres et d’équipes mobiles : tout concourt à aggraver un mal-être profond. Dans ces sociétés où la santé mentale demeure un sujet tabou, les initiatives locales peinent à contenir la vague d’angoisse et de stress.
Un chômage structurel et générationnel
À cette fragilité sociale s’ajoute l’incertitude technologique. L’intelligence artificielle, tout en promettant des gains de productivité, fait planer la menace d’un chômage structurel.
Les emplois administratifs, financiers et tertiaires — majoritaires en Guadeloupe et Martinique — sont parmi les plus exposés à l’automatisation. Les jeunes, souvent peu formés aux métiers du numérique, risquent d’être les premiers exclus d’un marché du travail remodelé par les algorithmes.
Une croisée des chemins pour les Antilles
Sous la pression combinée des crises politiques, financières et technologiques, la Guadeloupe et la Martinique se trouvent à la croisée des chemins.
Les secousses de la France hexagonale et les mutations globales du capitalisme numérique ébranlent leurs équilibres sociaux les plus fragiles. Ce nouvel ordre économique, en gestation sous un ciel d’incertitudes, pourrait consacrer l’avènement d’un monde où le travail se dématérialise, la croissance s’essouffle et l’humain vacille.
Le paradoxe du progrès
La dimension psychologique de ce bouleversement ne doit pas être sous-estimée. Dans un contexte où l’économie souffre et où les repères professionnels s’effritent, l’angoisse du déclassement risque de s’installer durablement.
La crise de santé mentale, illustrée par le taux alarmant de jeunes en dépression dans les DROM, trouve ici une nouvelle cause : la perte de repères dans un monde en mutation accélérée.
Dans ce basculement où le progrès se confond avec la perte de sens, la Guadeloupe et la Martinique apparaissent comme le baromètre d’une civilisation à la dérive : choisiront-elles de subir le choc du monde qui vient ou de s’en émanciper par une reconversion lucide, humaniste et collective ?
Vers un nouveau paradigme social
Sous ce ciel de France lourd de menaces, les Antilles apparaissent comme les sentinelles d’un basculement mondial. Ce nouvel ordre économique, encore en gestation, risque de se construire sur les ruines d’un modèle social épuisé.
Si la France continentale s’inquiète de la montée des taux et de la charge exponentielle de sa dette, les Antilles, elles, redoutent la montée du désespoir. Car au bout de cette crise, ce n’est pas seulement la solvabilité de l’État qui se joue, mais la santé morale d’une jeunesse insulaire dont les rêves s’éloignent à mesure que monte le coût de la vie.
La mutation de l’économie mondiale pourrait bien être aussi celle des consciences : une ère où la valeur d’une société ne se mesurera plus seulement à la courbe de sa croissance, mais à sa capacité à espérer encore en un changement de paradigme.
Jean-Marie Nol
Économiste et juriste en droit public