Les turbulences politiques qui secouent Paris produisent des ondes dans les Outre-mer. La démission soudaine du Premier ministre Sébastien Lecornu, à la veille de sa déclaration de politique générale, a de nouveau illustré l’ambiguïté du lien institutionnel entre la France et ses territoires éloignés.
En Martinique, où les élus s’apprêtent à se réunir en Congrès pour débattre de l’avenir statutaire de l’île, une question s’impose :
une Martinique dotée d’un statut d’autonomie serait-elle moins exposée aux aléas politiques de la métropole ?
La dépendance aux cycles politiques de Paris
Aujourd’hui, la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) demeure étroitement liée au calendrier et aux décisions de l’État.
Les financements des grands projets (eau, transport, logement) dépendent des arbitrages ministériels ; les dotations budgétaires sont fixées à Paris ; les politiques sociales — RSA, allocation personnalisée d’autonomie, prestations handicap — restent encadrées par la législation nationale.
Chaque remaniement ou changement de Premier ministre entraîne donc un effet d’arrêt ou de redémarrage brutal de la machine administrative. À chaque nouveau gouvernement, il faut réexpliquer les dossiers, rétablir les priorités, retrouver des interlocuteurs. Ce va-et-vient permanent fragilise la continuité de l’action publique.
Cette dépendance verticale, héritée du modèle départemental, prive le territoire d’une stabilité décisionnelle. Et elle accentue la frustration d’élus contraints d’attendre que Paris se stabilise pour agir.
Ce que changerait un statut d’autonomie
Un statut d’autonomie, comme celui dont dispose la Polynésie française ou certaines collectivités d’outre-mer du Pacifique, offrirait à la Martinique une capacité d’action locale accrue.
L’île pourrait alors adapter les lois et règlements nationaux à ses réalités — qu’il s’agisse d’emploi, d’énergie, d’éducation, d’environnement ou de coopération régionale.
L’idée, maintenant bien connue serait de créer un pouvoir normatif local, encadré par la Constitution mais indépendant dans sa mise en œuvre.
Cela signifierait :des politiques publiques conçues et votées localement; des budgets partiellement autonomes, financés par une fiscalité adaptée ; une diplomatie régionale renforcée, notamment avec la CARICOM et l’Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO).
En cas de crise politique à Paris, ces institutions locales continueraient de fonctionner sans blocage, assurant une continuité administrative et une visibilité à moyen terme.
Les limites d’un pare-feu institutionnel
Mais l’autonomie n’est pas un bouclier absolu.
Les grands leviers de la politique publique — sécurité, justice, défense, politique monétaire, relations extérieures — resteraient sous la compétence de l’État.
Les budgets sociaux dépendraient encore des finances nationales, elles-mêmes soumises aux fluctuations économiques et politiques hexagonales. L’autonomie qui ne couperait pas la Martinique de la République, permettrait surtout de construire un espace de responsabilité locale à l’intérieur du cadre national.
Autrement dit, une Martinique autonome serait moins vulnérable aux changements ministériels, mais pas totalement indépendante des crises structurelles françaises, notamment budgétaires.
De la dépendance à la responsabilité
Ce que l’autonomie changerait profondément, en revanche, c’est la nature du pouvoir politique local.
Les politiques publiques — transports, santé, logement, développement économique — deviendraient des compétences pleines et assumées par les institutions martiniquaises.
La responsabilité des réussites, comme des échecs, ne pourrait plus être renvoyée à Paris. L’autonomie, serait la fin de l’alibi , elle obligerait à gouverner ici, à rendre des comptes ici, et à trouver des solutions localement.
En ce sens, l’autonomie ne protégerait pas seulement la Martinique des crises parisiennes : elle la forcerait à développer une culture politique de la continuité — moins dépendante des alternances nationales, mais aussi plus exigeante vis-à-vis de ses propres dirigeants.
Une stabilité institutionnelle relative, mais réelle
Dans la pratique, l’autonomie offrirait à la Martinique un amortisseur politique :
les programmes territoriaux ne seraient plus interrompus à chaque remaniement ;
les coopérations régionales pourraient se poursuivre indépendamment du climat politique parisien ;
et les arbitrages budgétaires locaux gagneraient en lisibilité.
Mais cette stabilité aurait un prix : celui d’une maturité institutionnelle.
L’efficacité du modèle dépendrait de la capacité des acteurs locaux à bâtir un consensus politique durable et à exercer leurs compétences dans un esprit de responsabilité partagée.
L’autonomie ne garantirait pas une stabilité absolue, elle la rendrait possible mais tout dépendrait de la manière elle serait menée.
Ce qui ramène à la compétence des élus…
Ce que changerait l’autonomie pour la Martinique
1. Moins de dépendance administrative
Les changements de gouvernement à Paris n’affecteraient plus directement la gestion des politiques locales.
2. Une responsabilité politique accrue
Les élus martiniquais auraient la maîtrise (et la redevabilité) des politiques économiques et sociales.
3. Une ouverture régionale élargie
La Martinique pourrait renforcer ses partenariats avec la Caraïbe, la Banque de développement des Caraïbes et les programmes européens INTERREG sans attendre les validations ministérielles.
Un débat qui dépasse la conjoncture
Alors que la France traverse une nouvelle crise gouvernementale, la question statutaire martiniquaise prend une résonance particulière.
L’autonomie n’apparaît plus seulement comme un horizon politique, mais comme un outil de stabilité face à la volatilité du centre. Reste à savoir si la société martiniquaise est prête à franchir le pas — non pour s’éloigner de la République, mais pour la rendre plus équilibrée dans son fonctionnement.
En somme, une Martinique autonome ne serait pas une île coupée de Paris, mais une île capable de continuer à gouverner quand Paris vacille.
Gérard Dorwling-Carter