Une expérience troublante
En 1970, le biologiste américain John B. Calhoun lance une expérience restée célèbre sous le nom d’« Univers 25 ». Il enferme quatre couples de souris dans un environnement clos, spacieux, et surtout idéal : nourriture et eau en accès illimité, abris confortables, aucun prédateur, aucune menace extérieure. Au départ, la colonie prospère. La population croît rapidement pour atteindre environ 600 individus. Mais très vite, des comportements inquiétants émergent : hiérarchies violentes, marginalisation d’individus passifs surnommés « misérables », mâles en retrait psychologique, femelles cessant de protéger leurs petits. La natalité chute, la mortalité infantile grimpe à 100 %, et plus aucune reproduction viable n’a lieu. En deux ans, la colonie disparaît totalement. L’expérience est répétée vingt-cinq fois, toujours avec le même résultat.
La conclusion de Calhoun est implacable : une société privée de défis, d’efforts et de responsabilités finit par se décomposer, même lorsque tous les besoins matériels sont assurés.
La Martinique dans un « univers protégé »
Depuis la départementalisation, la Martinique a connu elle aussi une entrée dans un « univers protégé ». Grâce aux transferts publics et aux subventions, la sécurité matérielle de base est largement assurée : allocations chômage, RSA, retraites, aides agricoles, prestations sociales, fonds européens. Ce modèle a permis d’élever le niveau de vie et de moderniser rapidement l’île. Mais aujourd’hui, comme dans l’expérience de Calhoun, des dérèglements profonds apparaissent.
Des chiffres alarmants
Le chômage reste structurellement élevé, entre 12 et 12,8 % en 2024-2025, soit presque le double de l’hexagone. Chez les jeunes, il atteint 31 %. La démographie recule : la Martinique compte 355 500 habitants en 2025, mais perd en moyenne 0,7 % de sa population chaque année. L’indice de fécondité plafonne à 1,85 enfant par femme, tandis que 31,5 % de la population a déjà 60 ans ou plus. La précarité demeure forte : 27 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, contre 14 % en france, et ce taux grimpe à 39 % dans les familles monoparentales, lesquelles représentent 42,4 % des foyers martiniquais. À cela s’ajoute la dépendance aux prestations sociales : 57 % de la population perçoit au moins une aide de la CAF. Ces données révèlent une société fragilisée par une dépendance croissante aux transferts extérieurs, et où l’initiative locale peine à s’imposer.
Les symptômes d’un effondrement silencieux
Comme dans « Univers 25 », la Martinique présente plusieurs signes d’alerte. On observe trop souvent un retrait du travail productif remplacé par l’attente des allocations, un décrochage de la jeunesse marquée par le chômage, l’exode et parfois la violence gratuite, une crise de la transmission avec le délitement du lien entre générations et l’érosion de l’autorité éducative, et une démographie déclinante qui menace la vitalité même de la société.
Rompre le cercle de la dépendance
Il ne s’agit pas de nier l’importance des allocations et des subventions : elles sont un filet de protection indispensable contre la pauvreté. Mais elles ne peuvent constituer un projet de société.
Comme le montre l’expérience de Calhoun, le confort sans effort ne nourrit pas l’élan vital.
La Martinique doit réinventer un modèle fondé sur le travail créateur et l’initiative locale, relancer l’agriculture modernisée et durable, développer l’économie bleue et les énergies renouvelables, investir dans l’éducation et les industries culturelles, encourager l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes.
“La chance des Martiniquais c’est le travail des Martiniquais. “
Une société à la croisée des chemins
L’expérience de Calhoun est une parabole : elle nous dit qu’une société qui n’affronte plus de défis et se contente de recevoir, s’expose à l’effondrement.
La Martinique est à la croisée des chemins. Elle peut continuer à survivre sous perfusion d’allocations, au risque de s’éteindre lentement. Ou elle peut retrouver sa vitalité en plaçant à nouveau le travail, la responsabilité et la création collective au centre de son modèle économique et social.
Le Congrès des élus en préparation peut être – quoiqu’on puisse en penser – une chance à saisir.
Gérard Dorwling-Carter