L’Assemblée de Martinique se prononcera, lors de la plénière du lundi 11 août, sur la modification de la délibération n° 24-336-1, fixant la tenue d’un Congrès des élus le 25 septembre 2025. Cette instance exceptionnelle pourrait théoriquement marquer une étape dans les relations entre la Martinique et l’État.
Un cap vers plus d’autonomie normative
En confirmant la date de ce rendez-vous, le président Letchimy réaffirme son engagement en faveur de la responsabilisation institutionnelle et de l’acquisition d’un pouvoir normatif autonome, afin d’élaborer des politiques publiques adaptées aux réalités locales. Cet objectif s’inscrit dans la continuité de l’Appel de Fort-de-France, qui appelait à une différenciation claire et assumée du statut de la Martinique.
Un programme ambitieux
Le Congrès aura pour mission de définir un cadre de différenciation permettant à la Martinique de disposer de compétences législatives et réglementaires dans les domaines relevant de la Collectivité, ainsi que dans ceux partagés avec l’État.
L’ordre du jour prévu comprend :
– Allocutions officielles
– Approbation du procès-verbal de la séance du 29 novembre 2023
– Élaboration d’un cadre négocié avec l’État sur le pouvoir normatif autonome local
– Mise en place d’un cadre spécifique pour un projet global de transformation de la Martinique (économique, social, culturel, sanitaire…)
– Négociation avec l’État d’un agenda politique
– Lancement d’un processus de consultation citoyenne
– Questions diverses
Une nouvelle phase de dialogue avec l’État
Si l’Assemblée valide le principe du Congrès, la Martinique entrerait dans une nouvelle phase de négociation institutionnelle.
L’objectif affiché : rompre avec les logiques de centralisation, moderniser les politiques publiques et ouvrir la voie à un projet de développement global, à la mesure des ambitions et des spécificités du territoire.
Comprendre le Congrès des élus et ses enjeux
Le Congrès des élus de Martinique est une instance institutionnelle crée pour débattre des grandes orientations politiques et institutionnelles du territoire.
Depuis sa création par la Loi d’orientation pour l’Outre-mer en 2000, ce congrès joue un rôle central dans la réflexion sur l’évolution statutaire de la Martinique, comme la création de la Collectivité Territoriale unique adoptée en 2010 après consultation populaire. Depuis 2022, le Congrès s’est penché sur des thématiques clés telles que la réforme du cadre institutionnel, le développement de pouvoirs normatifs locaux, et l’examen de mesures pour répondre à la crise sociale et économique, notamment lors des dernières réunions en 2023 et 2024.
Ce nouveau Congrès est programmé pour finaliser les propositions d’évolution institutionnelle, en maintenant l’identité législative avec la France mais avec davantage de compétences normatives locales. Avec l’objectif d’améliorer le bien-être des citoyens tout en préservant les acquis de la départementalisation.
La composition précise du Congrès inclut :
• Les députés et sénateurs élus en Martinique
• Le président et les conseillers exécutifs de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM)
• Les conseillers de l’Assemblée de Martinique
• Les maires de toutes les communes martiniquaises. Le Congrès s’appuie aussi sur des consultations citoyennes et des groupes de travail thématiques pour préparer ses orientations, et ses séances peuvent être suivies publiquement, notamment à l’Assemblée de Martinique.
Les précédentes étapes :
l’Appel de Fort-de-France – Signé en mai 2022 par les présidents des exécutifs de Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte et La Réunion, cet appel plaidait pour un pouvoir normatif différencié et une autonomie renforcée. Plusieurs rencontres avec le gouvernement ont suivi, sans aboutir à ce jour à une réforme concrète.
Enjeux juridiques et politiques :
– Pouvoir normatif autonome : capacité à voter des lois et règlements dans certains domaines, sans passer par le Parlement national.
– Différenciation statutaire : reconnaissance dans la Constitution d’un statut particulier pour la Martinique.
– Agenda politique : feuille de route pour négocier avec l’État les transferts de compétences et les garanties financières.
Analyse historique : des précédents aux limites claires
Le Congrès des élus n’est pas une nouveauté. Deux précédents permettent de mesurer les enjeux de celui de 2025.
2001 – Congrès pour la consultation populaire : Réuni à l’initiative du Conseil régional et du Conseil général, il déboucha sur le référendum du 7 décembre 2003, où la population rejeta la transformation en collectivité unique régie par l’article 74 de la Constitution.
En janvier 2010- Deux référendums successifs se sont tenus en Martinique, dans un contexte de débats sur l’évolution statutaire de l’île :
• Premier référendum (10 janvier 2010) : Les électeurs ont été appelés à se prononcer sur la transformation de la Martinique en une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, ce qui aurait accru l’autonomie de l’île. Cette proposition a été massivement rejetée, avec environ 79,3% des votants opposés à ce changement.
• Second référendum (24 janvier 2010) : Suite à ce rejet, une nouvelle consultation a proposé la création d’une collectivité unique exerçant les compétences du département et de la région mais restant régie par l’article 73 de la Constitution. Cette fois, la proposition est approuvée par environ 68,3% des suffrages exprimés. Ce choix marque la volonté populaire d’une rationalisation institutionnelle, sans rompre avec le cadre juridique républicain existant.
2025 – Un tournant revendicatif : Contrairement aux précédents, le Congrès de 2025 vise un pouvoir normatif autonome reconnu et négocié avec l’État, marquant un saut qualitatif dans la revendication institutionnelle.
Paul-Émile BLOIS



