Présenté en conseil des ministres, le texte du gouvernement visant à inscrire le « statut d’autonomie » de la Corse dans la Constitution fait consensus sur l’île, mais divise au Sénat (dominé par la droite). Il a aussi suscité des réserves – ignorées – du Conseil d’État.
Un processus enclenché après la crise de 2022
L’inscription d’un « statut d’autonomie » pour la Corse dans la Constitution française trouve son origine dans les événements de 2022. La mort en prison d’Yvan Colonna, militant indépendantiste condamné pour l’assassinat du préfet Erignac, avait déclenché un cycle de violences sur l’île. Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, avait ouvert des négociations avec les élus corses – à la demande d’Emmanuel Macron – dans le cadre du « processus de Beauvau ».
Ces discussions, étalées sur deux ans, avaient débouché sur un texte voté à la quasi-unanimité par l’Assemblée de Corse en mars 2024, affirmant la volonté d’obtenir un statut d’autonomie « au sein de la République ».
Le projet de loi constitutionnelle présenté au Conseil des ministres
Le 30 juillet 2025, François Rebsamen, ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, a présenté en Conseil des ministres le projet de loi constitutionnelle. Ce texte, introduisant un article 72‑5, prévoit la reconnaissance d’un « statut d’autonomie » et la possibilité pour la collectivité corse d’adapter certaines lois et règlements aux réalités locales.
L’objectif affiché est de donner à la Corse un cadre institutionnel « sui generis », comparable aux régimes particuliers déjà existants pour la Polynésie française ou la Nouvelle-Calédonie, tout en réaffirmant son appartenance à la République.
Un avis du Conseil d’État.
Avant sa présentation officielle, le texte avait fait l’objet d’un avis du Conseil d’État. L’institution n’avait pas jugé l’autonomie incompatible avec les principes constitutionnels, mais avait émis plusieurs réserves :
Remplacer la notion de « statut d’autonomie » par « régime d’autonomie », plus conforme au vocabulaire juridique ;
Substituer le terme « communauté historique, linguistique et culturelle » par « caractéristiques » pour éviter toute ambiguïté sur un possible communautarisme ;
Encadrer plus strictement le pouvoir normatif de la collectivité, afin de garantir l’égalité devant la loi et la sécurité juridique.
Ces recommandations n’ont pas été intégrées. Le gouvernement a choisi de conserver les formulations portées par Gilles Simeoni et validées par l’Assemblée de Corse, au risque de créer des zones d’incertitude.
Un Sénat réticent
Si le texte bénéficie d’un large consensus en Corse, son parcours parlementaire s’annonce plus difficile. À l’Assemblée nationale, la majorité présidentielle espère rallier une partie de la gauche et du centre. En revanche, au Sénat, dominé par Les Républicains, les réticences sont vives.
Bruno Retailleau met en garde contre « un précédent qui pourrait fragmenter l’unité nationale », tandis que Francis Szpiner dénonce « un séparatisme institutionnalisé sous couvert d’autonomie ».
Une adoption incertaine
Pour être entériné, le projet doit être adopté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat, puis approuvé à la majorité des trois cinquièmes lors d’un Congrès à Versailles. Le calendrier politique, couplé à l’hostilité prévisible de la droite sénatoriale, rend l’issue très incertaine.
Si elle aboutit, la réforme marquera une avancée inédite pour la Corse, ouvrant la voie à une autonomie renforcée tout en réaffirmant son lien à la République. Si elle échoue, elle pourrait relancer les tensions politiques sur l’île et fragiliser la confiance nouée entre Paris et les élus corses depuis 2022. Gdc