“Nos entreprises ont besoin d’audace et de visibilité pour 2025”
Dans un contexte de crises sociales et de bouleversements économiques, Catherine Rodap, présidente du MEDEF Martinique et avocate en droit des affaires, revient sur une année 2024 marquée par des tensions profondes. Entre difficultés conjoncturelles et défis structurels, elle appelle à plus de pragmatisme et d’engagement pour restaurer la confiance et préparer l’avenir. Interview.
DERNIÈRE MINUTE, EN BAS D’ARTICLE UN LIEN VERS LA LETTRE OUVERTE CO-ÉCRITE AVEC JEAN-YVES BONNAIRE, À MANUEL VALLS
Antilla : L’année 2024 a été marquée par de graves conflits sociaux qui ont impacté les entreprises martiniquaises. Pouvez-vous nous en dire plus sur la situation actuelle ?
Catherine RODAP : L’année 2024, notamment son dernier trimestre, a été particulièrement éprouvante pour le monde économique. Nous avons vécu une vague de conflits sociaux qui ont entraîné d’importants dommages pour nos entreprises. Plus de 200 entreprises ont été vandalisées, incendiées ou gravement endommagées. Cela se traduit concrètement par une hausse des demandes d’activité partielle : à ce jour, 353 entreprises en ont fait la demande, impliquant plus de 3 868 salariés et un total de 592 000 heures d’indemnisation.
Le climat économique est donc très tendu, et nos entreprises doivent faire preuve d’audace pour affronter l’année 2025, alors même qu’elles manquent de visibilité. Nous devons être pragmatiques et prendre des décisions fortes pour retrouver un élan.
Les investisseurs sont-ils eux aussi en attente face à cette incertitude ?
C.R : Effectivement, l’instabilité actuelle générée par les remaniements gouvernementaux et les tensions locales a mis de nombreux projets en stand-by. Les investisseurs ont besoin d’un cadre stable et prévisible pour s’engager. Or, l’adoption récente du projet de loi porté par Béatrice Bellay à l’Assemblée nationale inquiète le monde économique.
Cette loi comporte des mesures discriminantes à l’encontre des territoires ultramarins. Elle impose notamment une révision à la baisse des activités d’une entreprise qui dépasserait 25 % de parts de marché. Cela revient à sanctionner la croissance et l’initiative privée, alors que nous avons besoin d’un modèle économique qui encourage le développement et l’investissement. J’ai la conviction que ce projet de loi ne passera pas au Sénat, car il contrevient à des principes constitutionnels fondamentaux, notamment la liberté d’entreprendre.
“Le risque, c’est nous qui le prenons au quotidien. Le saut dans le vide, c’est nous qui l’assumons au quotidien.”
Que pensez-vous précisément du projet de loi Bellay ?
C.R. : Cette loi est profondément problématique pour nos entreprises. Elle introduit des principes qui entravent le développement économique et créent une insécurité juridique. Imposer un plafonnement strict de 25 % de parts de marché à une entreprise, après qu’elle ait pris des risques et investi pour atteindre ce niveau, est injuste et anticonstitutionnel. Nous demandons que cette loi soit revue au Sénat, car elle menace directement l’attractivité économique de la Martinique et décourage les entrepreneurs.
Quels leviers peuvent être activés pour améliorer la situation économique en Martinique ?
Un protocole d’accord a été signé le 16 octobre 2024 entre les principales institutions, dont l’Etat, la Collectivité Territoriale de Martinique, le MEDEF, les organisations consulaires et nos élus. Ce protocole repose sur trois leviers :
- La péréquation de l’octroi de mer : déjà mise en place, elle permet de lisser certaines disparités de coûts.
- La péréquation de la TVA, qui concerne 69 familles de produits et qui est en attente d’application.
- La continuité territoriale, qui est un élément indispensable à la réduction des coûts pour nos entreprises et nos consommateurs.
Ces mesures devraient permettre une baisse moyenne des prix de 20 % sur 54 familles de produits. Nous attendons maintenant que l’Etat honore ses engagements pour rendre ce protocole pleinement effectif.
“Il n’y a pas d’économie sans entreprise sur le territoire. Il n’y a pas d’économie sans travail sur le territoire.”
Certaines entreprises locales, notamment de grands groupes, ont récemment été la cible de critiques. Comment réagissez-vous à cela ?
C.R.: Je le regrette profondément. Le groupe Bernard Hayot, par exemple, représente un peu plus de 2 000 emplois en Martinique et environ 20 000 salariés à travers 19 pays. En Martinique, il réalise environ 16 % de son chiffre d’affaires. Les bénéfices annoncés concernent l’ensemble des 19 pays dans lesquels le groupe est implanté. Localement, le groupe doit être à l’origine de plusieurs millions d’euros injectés chaque mois en salaires.
Plutôt que de dénigrer la réussite de certaines entreprises, nous devrions encourager nos jeunes entrepreneurs à suivre cet exemple. Nos limites géographiques ne sont plus un frein : l’essor du e-commerce permet d’exporter et d’innover, à condition d’avoir un environnement économique stable et accueillant.
Le MEDEF Martinique semble très impliqué dans les enjeux sociétaux, notamment le logement. Pourquoi cet engagement ?
C.R. : Cette question est particulièrement pertinente puisque je participe actuellement aux Journées Territoriales d’Action Logement organisées en Guadeloupe. Le logement est un enjeu fondamental pour nos salariés. Nous sommes partenaires d’Action Logement et participons activement à l’amélioration du logement social en Martinique. Il ne s’agit pas simplement de construire, mais de proposer des logements de qualité qui favorisent le maintien des talents sur le territoire.
Quels sont les projets du MEDEF Martinique pour 2025 ?
C.R. : Nous avons plusieurs projets ambitieux pour 2025. Tout d’abord, nous allons renforcer notre accompagnement des entreprises en matière de transition numérique et énergétique, car ces enjeux sont devenus incontournables. Ensuite, nous poursuivrons notre engagement dans la formation et l’emploi, notamment par le biais de partenariats avec les établissements d’enseignement et les organismes de formation. Nous mettrons également un accent particulier sur l’accompagnement des jeunes entrepreneurs et des TPE, qui constituent la majorité de nos adhérents. Enfin, nous continuerons à défendre un environnement réglementaire favorable à l’investissement et au développement économique, en travaillant étroitement avec les pouvoirs publics et les autres acteurs économiques.
Le MEDEF Martinique mène également des actions pour valoriser les entreprises locales. Pouvez-vous nous en parler ?
C.R.: Nous avons à cœur de promouvoir nos entreprises et leurs savoir-faire. À ce titre, nous organisons des événements qui mettent en avant les initiatives locales, comme la mise en valeur des femmes entrepreneures en mars 2024 ou notre participation active au Tour des Yoles, une manifestation emblématique de la culture martiniquaise. Nous voulons rappeler que l’économie locale est riche et diversifiée, et qu’elle mérite d’être soutenue. Nous continuerons également à encourager les entrepreneurs à se structurer et à innover pour être plus compétitifs sur le marché ultramarin et au-delà.
Un dernier mot sur la composition du MEDEF Martinique ?
C.R. : Contrairement aux idées reçues, le MEDEF Martinique n’est pas uniquement composé de grands groupes. Nous comptons 350 adhérents, dont 70 % sont des petites entreprises de moins de 10 salariés. Nous couvrons tous les secteurs d’activité, du BTP à l’agro-transformation, en passant par le tourisme et les énergies renouvelables. Nous nous efforçons de mettre en avant des parcours inspirants, notamment ceux de jeunes entrepreneurs innovants.
Propos recueillis par Philippe PIED



