L’avenir institutionnel de la Martinique : consensus et incertitudes. u enjeu collectif majeur
L’avenir institutionnel de la Martinique constitue un enjeu central, qui engage à la fois le quotidien des habitants et la trajectoire collective du territoire. Pourtant, les débats sur l’évolution statutaire souffrent souvent d’un déficit d’appropriation citoyenne : les déclarations politiques sont rarement lues ou analysées avec l’attention nécessaire par la population. Dans ce contexte, il est essentiel de décrypter les discours des porteurs de projet afin d’en mesurer la portée réelle, les ambitions affichées et les limites institutionnelles.
Une déclaration mobilisatrice
Une déclaration signée par Serge Letchimy, Lucien Saliber et Jean-Claude Duverger, publiée dans Antilla en amont du prochain Congrès des élus de Martinique, insiste sur la nécessité d’un consensus, l’urgence sociale et économique et l’ambition de doter la collectivité d’un pouvoir normatif autonome dans le cadre républicain. Elle vise à légitimer le Congrès comme un « moment de vérité et de démocratie ».
Un diagnostic partagé des fragilités
Les signataires dressent un tableau précis des difficultés structurelles : dépendance économique aux importations, exode massif des jeunes, crise persistante de l’accès aux soins, coût de la vie insoutenable, insécurité et précarité du logement. Ce constat rejoint les analyses de l’INSEE, de l’IEDOM et de la Cour des comptes. Il est incontestable et justifie la nécessité de changements profonds.
Trois orientations principales
La première orientation met en avant l’instauration d’un pouvoir normatif autonome. Elle reste cependant imprécise sur son articulation avec l’article 73 et sur les conditions d’une révision constitutionnelle. L’article 74 ouvre la voie à un tel pouvoir, au prix d’un statut d’autonomie impliquant une redéfinition des compétences entre l’État et la collectivité. L’idée d’un régime intermédiaire, évoqué sous l’appellation d’« article 73-1 », paraît plus rassurante aux tenants du statu quo, mais impliquerait une révision constitutionnelle préalable adoptée par le Parlement français. La différence est de taille : l’article 74 suppose d’abord un référendum local, suivi d’une loi organique du Parlement, tandis que l’article 73-1 nécessiterait en premier lieu une révision constitutionnelle nationale, validée par le Congrès ou par référendum, avant toute loi organique précisant les compétences.
La deuxième orientation concerne la construction d’un développement endogène structurant, centré sur l’autonomie alimentaire et énergétique, l’insertion régionale et la lutte contre la vie chère. Ces thématiques dépassent le seul champ institutionnel et requièrent des politiques publiques de long terme, largement dépendantes de financements étatiques et européens.
La troisième orientation repose sur l’annonce d’une méthodologie et d’un calendrier de négociation avec l’État. Mais la déclaration sur ce point reste à préciser sur les étapes, la durée ou le périmètre des discussions.
Des limites institutionnelles et constitutionnelles
Les auteurs rappellent à juste titre qu’aucun changement statutaire ne peut intervenir sans consultation de la population, conformément à l’article 72-4 de la Constitution. Mais ils n’évoquent pas le mécanisme des habilitations, pourtant central dans le régime actuel de l’article 73. En théorie, il permet déjà d’adapter des lois et règlements aux réalités locales. En pratique, il s’avère trop limité et trop contraignant : soumis à validation parlementaire, borné dans le temps et grevé par des lourdeurs administratives, il ralentit l’action publique et réduit la réactivité face aux urgences sociales.
Mémoire et défiance citoyenne
La référence à Frantz Fanon et à la mémoire coloniale inscrit le Congrès dans une trajectoire historique de lutte et d’émancipation. Cet ancrage symbolique renforce la légitimité du discours, mais il ne compense pas l’absence de propositions concrètes. Le texte se rapproche davantage d’un manifeste mobilisateur que d’un projet assorti de fondations juridiques et administratives solides.
S’ajoute un autre enjeu : la relation entre la population et ses élus. Un sondage Étom d’août 2025 révèle une contradiction persistante : une majorité de Martiniquais juge le Congrès nécessaire, mais 68 % doutent de la capacité de la CTM à assumer davantage d’autonomie. L’obstacle majeur n’est donc pas seulement constitutionnel, il est aussi politique et sociétal. La confiance envers la classe politique locale reste fragile.
Une condition d’unité et de crédibilité
En définitive, le texte publié apparaît comme un manifeste destiné à mobiliser autour du Congrès des élus. Il propose un diagnostic lucide et une rhétorique de rassemblement, mais pèche par manque de précision juridique et opérationnelle. La faisabilité des ambitions exprimées – pouvoir normatif autonome, encadrement des loyers, fiscalité adaptée ou souveraineté alimentaire – dépendra de révisions constitutionnelles exigeant à la fois la volonté politique de l’État et l’adhésion claire de la population.
La crédibilité du processus repose enfin sur la capacité des élus à afficher une unité sans faille.
Si une majorité a déjà voté le principe du Congrès, il sera indispensable que toutes les composantes politiques convergent vers des propositions cohérentes et unificatrices à soumettre au gouvernement. Cette unité, conjuguée à un effort de pédagogie et de transparence, constitue la condition première pour engager un véritable processus de réforme institutionnelle.
Gérard Dorwling-Carter



