Depuis 2015, la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) assume des missions relevant normalement de l’État. Cette autonomie de fait, qui traduit autant une nécessité qu’un choix politique, fragilise toutefois son budget et s’inscrit désormais dans un contexte national instable marqué par la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon, à la veille du Congrès des élus.
Créée en fusionnant département et région, la CTM n’a cessé d’élargir son champ d’action. Pénuries d’eau, crise hospitalière, tensions sociales : face aux urgences, elle s’est souvent substituée à Paris pour éviter le blocage des services publics. Cette pratique traduit aussi un constat : l’État peine à intégrer les spécificités de l’île. En agissant au-delà de ses compétences, la CTM entend affirmer sa légitimité et démontrer sa capacité à gérer davantage de responsabilités, à l’image des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74. Mais faute de ressources fiscales nouvelles ou de dotations supplémentaires, cette autonomie de fait fragilise un budget de fonctionnement déjà grevé par des dépenses hors compétences.
Trois trajectoires sont désormais possibles : un statu quo marqué par un budget sous tension, une évolution encadrée avec des habilitations accrues sous l’article 73, ou un basculement vers l’article 74, qui conférerait un pouvoir normatif mais au prix d’une rupture institutionnelle que la population n’appelle pas de ses vœux. L’avenir dépendra autant de la volonté des élus que de la capacité de l’État à reconnaître la singularité martiniquaise.
La nomination de Sébastien Lecornu comme Premier ministre pèse sur ce contexte. Ancien ministre des Outre-mer, il connaît les dossiers martiniquais et pourrait favoriser un dialogue pragmatique autour d’habilitations spécifiques. Mais son mandat est fragilisé : il doit d’abord obtenir un compromis budgétaire au Parlement sous la menace d’une censure. Si son gouvernement se stabilise, le Congrès des élus pourrait trouver en lui un interlocuteur attentif, même si les ambitions resteront contraintes par l’austérité. En cas d’échec rapide, le Congrès se tiendrait dans l’incertitude totale, sans perspective claire de soutien de l’État.
L’arrivée de Lecornu ouvre donc une équation délicate : la possibilité d’une écoute, mais aussi la crainte d’un rendez-vous manqué, tant la trajectoire institutionnelle de la Martinique demeure dépendante des aléas politiques nationaux.
Jean-Paul BLOIS