La chute du fait majoritaire et la multiplication des gouvernements minoritaires révèlent une mutation profonde de la Ve République. Entre usage répété du 49-3 et dissolutions hasardeuses, la France redécouvre sa nature parlementaire, mais sans en avoir encore assumé la culture du compromis.
Le déclin d’un pilier de la Ve République
49-3 ici, 49-1 là : chaque fois, c’est l’absence de confiance qui signe la disparition du « fait majoritaire », cette divine surprise des débuts de la Ve République évoquée par Bastien François. Après plus de soixante ans d’habitude institutionnelle, les acteurs politiques peinent à s’en détacher.
Dès 2023, lors de la réforme des retraites, le constitutionnaliste Denis Baranger en avait souligné les conséquences. Les législatives de 2024 n’ont fait qu’aggraver les fractures apparues en 2022. Les outils du parlementarisme rationalisé ne suffisent plus : on redécouvre la nature parlementaire d’un régime que la présidentialisation avait masquée, au prix de gouvernements fragiles et minoritaires, faute de coalitions assumées.
Une crise de régime lente mais réelle
La dissolution précipitée de juin 2024 a ouvert un cycle d’instabilité qui s’apparente à une crise de régime lente. Lente, car sans rupture brutale ; réelle, car elle affaiblit chaque jour la capacité du pays à se gouverner. Cette fragilité surgit alors que la France doit prendre des décisions cruciales : consolidation budgétaire, investissement militaire, action climatique, affirmation de sa voix en Europe face aux États-Unis.
Le défi des coalitions
La question centrale est désormais celle de la culture du compromis. Dans la plupart des démocraties européennes, la négociation et les coalitions sont la règle. En France, l’histoire du fait majoritaire a dispensé les partis de cet apprentissage. Mais sans cette mue, le pays restera enfermé dans une zone grise, balloté entre gouvernements précaires et contestations sociales répétées.
La piste de la proportionnelle
Une évolution vers un mode de scrutin proportionnel pourrait rééquilibrer la représentation nationale et dispenser les partis d’alliances pré-électorales artificielles. Elle favoriserait des coalitions construites après le vote, comme en Allemagne, en Espagne ou en Italie. Ce changement n’effacerait pas toutes les difficultés, mais il obligerait les forces politiques françaises à entrer dans une logique de coopération durable.
Deux scénarios pour l’avenir
L’avenir institutionnel oscille entre deux chemins. Le premier serait celui d’une Ve République « parlementarisée » de fait, où l’exécutif gouvernerait par compromis instables et accords ponctuels. Le second serait celui d’une réforme constitutionnelle ambitieuse, ouvrant vers une VIe République adaptée à un paysage fragmenté : proportionnelle renforcée, rôle présidentiel redéfini, et partage plus équilibré du pouvoir entre exécutif et législatif.
Dans les deux cas, la France ne pourra indéfiniment s’accrocher au mythe disparu du fait majoritaire. Elle devra accepter la logique parlementaire qui s’impose à elle, au risque, sinon, de voir sa démocratie s’enliser dans une instabilité chronique.
Jean-Paul BLOIS