Alors que la Martinique s’apprête à débattre à nouveau de son avenir institutionnel, deux options se dessinent : le passage à l’autonomie consacrée par l’article 74 de la Constitution, ou l’adjonction d’un alinéa à l’article 73 pour doter la collectivité d’un véritable pouvoir normatif sans rompre avec le principe d’identité législative. Deux trajectoires aux exigences différentes, mais toutes deux semées d’embûches.
Un cadre strict pour l’article 74
Le passage à l’article 74 obéit à une procédure rigoureuse. L’article 72-4 de la Constitution impose qu’un tel changement de statut soit validé par la population. Le gouvernement prépare alors un projet de loi organique définissant les compétences transférées, l’organisation institutionnelle et les ressources financières. Celui-ci n’entre en vigueur qu’après un vote favorable de la majorité des suffrages exprimés lors d’une consultation locale, suivi de l’adoption par le Parlement et du contrôle du Conseil constitutionnel. La Martinique a déjà dit « non » à deux reprises, en 2003 et en 2010, traduisant une prudence marquée face à toute perspective d’autonomie.
Le pari d’un « 73 renforcé »
L’autre option consisterait à enrichir l’article 73, qui s’applique actuellement à la Martinique. Le système d’habilitations, tel qu’il existe aujourd’hui, reste limité : il permet seulement d’adapter certaines lois pour une durée déterminée et après autorisation du Parlement, sans marge décisionnelle suffisante. Pour dépasser ces limites, il est proposé d’ajouter un alinéa permettant, par loi organique, de reconnaître à la collectivité un pouvoir normatif dans des domaines précis — fiscalité locale, environnement, énergie, santé publique — tout en conservant le principe d’identité législative. Les lois nationales continueraient donc de s’appliquer par défaut.
Une révision constitutionnelle incontournable
Modifier l’article 73 suppose une révision de la Constitution. Le Congrès des élus pourrait voter une résolution solennelle pour en demander l’ajout. Le projet de révision devrait ensuite être adopté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat, puis validé par référendum national ou par le Congrès du Parlement à Versailles à la majorité des trois cinquièmes. Une loi organique préciserait ensuite les domaines et les modalités du pouvoir normatif. Un véritable marathon institutionnel dont l’issue demeure incertaine dans le climat politique actuel.
Une question de confiance et d’unité
Quelle que soit l’option retenue, l’évolution statutaire ne pourra aboutir que si plusieurs conditions sont réunies : la confiance des électeurs dans la capacité des élus à gérer de nouveaux pouvoirs, l’apaisement du climat social marqué par des grèves et tensions récurrentes, et la construction d’un consensus politique et syndical. Le débat doit aussi démontrer que la réforme institutionnelle apportera des solutions concrètes aux problèmes quotidiens : eau, transports, emploi, vie chère.
Une attente toujours reportée
Entre l’autonomie de l’article 74 et le « 73 renforcé », la Martinique reste en suspens. Les voies existent, mais elles exigent unité politique, pédagogie et volonté nationale. Tant que ces conditions ne sont pas réunies, il est à craindre que l’île doive encore patienter avant de jouir d’une véritable plénitude de responsabilités et de pouvoirs pour sortir du marasme.
Gérard Dorwling-Carter