La mécanique institutionnelle est grippée
Depuis deux ans, la France s’est installée dans un blocage parlementaire inédit. Les trois grandes forces politiques – l’extrême droite, la gauche et le bloc central issu du macronisme – peinent chacune à franchir le seuil des 289 députés, nécessaire pour constituer une majorité absolue. La Ve République, bâtie sur la logique majoritaire, se heurte à un paysage électoral fragmenté où aucun camp n’est en mesure d’imposer seul sa loi.
La règle « au premier tour on choisit, au second on élimine », qui caractérise le scrutin majoritaire à deux tours depuis 1958, se retourne aujourd’hui contre le système. Les électeurs, souvent pour barrer la route au Rassemblement national (RN) ou pour sanctionner tel ou tel camp, provoquent des éliminations précoces et des triangulaires complexes. Résultat : l’Assemblée nationale reflète désormais une répartition presque proportionnelle des forces, sans dégager de majorité stable.
Le Rassemblement national face à ses limites
Malgré ses scores élevés au premier tour, le RN reste tenu à distance dans de nombreux territoires. En 2024, il n’a conquis aucun siège à Paris, aucun dans les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne ou le Finistère. En Outre-mer, seules La Réunion et Mayotte lui ont offert des élus, tandis qu’il est resté marginal en Polynésie et absent de Nouvelle-Calédonie et de Guadeloupe.
S’il domine dans des départements ruraux en déclin démographique (Aube, Yonne, Haute-Marne), il échoue à s’implanter dans les zones dynamiques (Landes, Loire-Atlantique, Ille-et-Vilaine). Le RN est ainsi puissant dans des territoires électoralement faibles et absent des grandes villes. Une configuration qui rend hors de portée toute majorité absolue.
Une gauche fragmentée et dominée par LFI
La gauche, rassemblée sous la bannière de la NUPES puis du Nouveau Front populaire (NFP), a limité la casse mais reste loin de la majorité. Elle domine dans certaines métropoles et en Seine-Saint-Denis, mais demeure inexistante dans des départements entiers comme l’Aisne, l’Oise ou les Pyrénées-Orientales.
Le PS conserve une influence locale (villes, régions, Sénat) et a remporté des victoires symboliques grâce à des candidats modérés et bien implantés. Mais il reste dépendant des investitures négociées avec LFI, premier groupe à gauche. Or, ce dernier refuse l’idée de gouverner sans président insoumis, ce qui rend illusoire une coalition de gouvernement crédible. La gauche n’a donc ni la répartition territoriale ni la cohésion politique nécessaires pour espérer 289 sièges.
Le bloc central en recul
En 2017, Emmanuel Macron avait bénéficié d’un effet de nouveauté qui lui avait assuré une majorité confortable. Cette dynamique a disparu. Depuis 2022, l’impopularité du président a freiné la réélection de ses députés, contraints parfois à gommer son image de leurs campagnes.
Le bloc central (Renaissance, MoDem, Horizons), même allié à une partie des Républicains, plafonne autour de 200 sièges – un niveau comparable à celui de l’ancienne UDF. Quant aux LR, leur lent effacement électoral depuis 2012 les a repoussés vers des circonscriptions rurales peu peuplées, tandis que le RN a absorbé leurs bastions du Sud-Est.
Vers un cycle de fragmentation durable
Depuis 2022, la mécanique qui liait présidentielle et législatives s’est grippée. Là où les électeurs validaient jusqu’ici l’élection du président en lui offrant une majorité, ils choisissent désormais de fragmenter le Parlement.
À moins d’une réforme institutionnelle ou d’un changement de mode de scrutin, aucun bloc ne paraît en mesure de retrouver seul une majorité absolue. La France entre ainsi dans une ère nouvelle : celle des coalitions difficiles, des compromis forcés, ou des blocages prolongés.
Jean-Paul BLOIS