I. Un malaise documenté, mais longtemps caché
Les révélations successives montrent que Meta connaissait depuis des années la nocivité d’Instagram pour les adolescentes. Les recherches internes réalisées dès 2019 indiquaient clairement que l’application aggravait l’image corporelle, l’anxiété et la dépression pour une part significative des jeunes utilisatrices. Certaines d’entre elles attribuaient même leurs idées suicidaires à l’utilisation de la plateforme. Malgré ces constats alarmants, l’entreprise n’a rien fait pour remédier à ces effets, préférant maintenir l’illusion d’un réseau social bénéfique.
II. Le poids du public jeune, au cœur de la stratégie commerciale
Les moins de 22 ans représentaient près de 40 % des utilisateurs d’Instagram, une cible jugée essentielle pour le modèle économique de Meta. Plutôt que d’adapter la plateforme à leurs besoins ou de limiter l’exposition aux contenus toxiques, Meta a fait le choix de préserver coûte que coûte leur engagement. La priorité n’était pas la santé mentale des adolescentes, mais la rétention d’un public considéré comme “vital” pour les revenus publicitaires.
III. « Project Mercury » : une étude interne étouffée
En 2020, Meta a mis fin à « Project Mercury », une vaste étude menée avec Nielsen montrant que cesser d’utiliser Facebook et Instagram pendant une semaine réduisait la dépression, l’anxiété, la solitude et la comparaison sociale. Plutôt que de publier ces résultats accablants, Meta les a discrètement classés, affirmant qu’ils étaient biaisés par “le discours médiatique existant”. Des courriels internes montrent pourtant que les chercheurs jugeaient la méthodologie solide. L’un d’eux établissait même un parallèle explicite entre cette stratégie de silence et celle jadis adoptée par l’industrie du tabac pour dissimuler les dangers de la cigarette.
IV. Une culture d’entreprise tournée vers la croissance à tout prix
De nouveaux documents judiciaires révèlent que Meta, mais aussi Alphabet, TikTok et Snap, ont privilégié la croissance et l’engagement à la sécurité des utilisateurs. Le litige multidistrict en cours aux États‑Unis regroupe plus de 1 800 plaignants – districts scolaires, parents et procureurs généraux – dénonçant des pratiques opaques et la dissimulation de risques connus. Certaines allégations indiquent que Meta exigeait jusqu’à dix‑sept violations de ses politiques avant de supprimer des comptes liés à la traite sexuelle, illustrant l’écart entre ses discours publics et sa gestion réelle des dérives de ses plateformes.
V. Un problème structurel : Instagram comme moteur de comparaison sociale
Les recherches internes de Meta montrent que les problèmes rencontrés par les adolescentes ne sont pas ceux des réseaux sociaux en général, mais ceux d’Instagram en particulier. Là où TikTok met en avant la performance et où Snapchat favorise les interactions directes, Instagram organise une compétition esthétique permanente autour du corps, du statut et du mode de vie. Cette mécanique, conçue pour maximiser l’engagement, exerce une pression disproportionnée sur les jeunes utilisatrices, tout en renforçant un modèle capitalisant sur leurs insécurités.
VI. Une prise de conscience empêchée, des alertes ignorées
De nombreux salariés interrogés affirment qu’il leur a été difficile de convaincre une partie de la direction de la gravité de leurs conclusions. Meta s’est limité à des sondages, groupes de discussion et enquêtes superficielles, sans jamais toucher aux fondements de la plateforme. Les chercheurs internes, pourtant dotés de compétences solides en psychologie, informatique et analyse quantitative, ont vu leurs avertissements minimisés ou enterrés.
VII. Une responsabilité désormais incontournable
L’accumulation des documents, études et témoignages met en lumière un système cohérent : Meta savait, longtemps et précisément, que ses produits faisaient du mal aux adolescentes. Non seulement l’entreprise n’a pas agi, mais elle a dissimulé ses propres résultats pour préserver un modèle économique reposant sur les failles psychologiques d’un public vulnérable. À mesure que les procédures judiciaires avancent, la question n’est plus seulement celle de la responsabilité éthique, mais de la responsabilité juridique d’une entreprise qui a consciemment privilégié son profit au détriment de la santé mentale des jeunes générations.



