À mesure que l’affaire dite de la retraite de Serge Letchimy a progressé dans l’espace judiciaire, elle a progressé aussi, et parfois plus vite encore, dans l’espace médiatique. Le mot de « concussion », lancé comme un couperet par le procureur dans ses réquisitions, s’est imposé dans le débat public avec la brutalité d’une condamnation anticipée. Or, en droit, ce terme n’a rien d’un slogan. Il désigne une infraction rare, lourde, strictement encadrée. Et surtout, difficile à caractériser.
La concussion ne punit pas l’irrégularité. Elle ne sanctionne pas l’imprécision administrative, ni l’ambiguïté des statuts, ni même une décision contestable. Elle réprime un acte beaucoup plus précis : le fait, pour un agent public, de percevoir sciemment une somme dont il sait qu’elle n’est pas due. Tout est là : dans le « sciemment ».
Or que dit la défense à ce stade du dossier ?
Que Serge Letchimy n’a jamais fait l’objet d’une radiation formelle de la fonction publique. Qu’en l’absence d’un tel acte, le droit considère que la qualité de fonctionnaire subsiste. Que la réintégration précédant la liquidation de la retraite est un mécanisme administratif connu. Que le cumul entre pension et indemnité parlementaire est, quant à lui, parfaitement légal.
Que dès lors, la question n’est plus morale ni politique. Elle est juridique, strictement. La pension était-elle objectivement indue ? Et surtout, l’intéressé avait-il la certitude qu’elle l’était ? Sans réponse positive à ces deux questions, la concussion ne tient pas.
Les avocats de la défense insistent sur le fait que le droit pénal de la probité est un droit d’exception. Il exige une intention caractérisée. Il ne s’accommode ni des raccourcis, ni des procès d’opinion. Et qu’à force de confondre faute administrative, controverse statutaire et infraction pénale, on affaiblit paradoxalement l’autorité même de la justice que l’on prétend renforcer.
Il appartient désormais au tribunal, et à lui seul, de dire le droit. Ni aux réseaux sociaux. Ni aux emballements médiatiques. Ni aux instrumentalisations politiques. Dans un État de droit, la rigueur juridique est une protection pour tous, y compris – et surtout – dans les affaires sensibles. Et, fort heureusement quant à la nécessité de sauvegarder les droits des personnes.
Cette affaire ne sera terminée que lorsque toutes les voies de recours seront épuisées. D’ici-là nous abjurons tous les citoyens de ce pays de garder la tête froide en tenant compte du fait que la Justice requiert un temps long pour être efficacement rendue.
Gérard Dorwling-Carter



