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La défaite électorale du Dr Ralph Gonsalves à Saint-Vincent-et-les-Grenadines marque bien plus que la fin d’un long règne politique. Elle symbolise l’effondrement d’une tradition progressiste jadis porteuse d’espoir, qui a marqué l’imaginaire politique caribéen des années 1970 – une tradition qui a inspiré nombre d’entre nous dans notre jeunesse, mais qui, en fin de compte, n’a pas su se transformer en une force démocratique mature et capable de bâtir des institutions solides.
J’avais neuf ans en 1970 lorsque le régiment de Trinité-et-Tobago se mutina durant la révolution du Black Power menée par Geddes Granger. Ce soulèvement, alimenté par une ferveur anticoloniale, galvanisa de jeunes diplômés de l’Académie royale militaire de Sandhurst, tels que Rafiq Shah et Rex LaSalle, qui risquèrent tout, convaincus que l’ancien ordre devait s’effondrer. En Dominique, la vague révolutionnaire atteignit également nos rivages. L’intelligentsia radicale d’établissements comme la St. Mary’s Academy, fréquentée par notre frère aîné, feu le Dr Wellsworth Christian , fut galvanisée par l’appel à la dignité des Noirs et à la souveraineté caribéenne. C’est dans ce contexte bouillonnant qu’éclata la célèbre manifestation du Black Power à la St. Mary’s Academy. À la maison, mes frères et sœurs et moi-même observions notre père et notre oncle débattre avec passion de l’avenir des Noirs, du sens de la libération et de la question de savoir si le Black Power apporterait la justice ou le chaos.
Nous étions anticolonialistes d’une manière différente de nos parents. Notre message était simple et fervent : le socialisme était l’antidote aux horreurs du colonialisme. Nous étions cultivés, idéalistes, sincères et avions raison de remettre en question l’ordre établi. Je n’ai aucun regret à ce sujet.
Avec le passage du temps, la sagesse projette une lumière qui clarifie tout. Nous ne comprenions pas pleinement ce qu’était la démocratie. Nous ne mesurions pas l’importance de l’État de droit, de la discipline d’un caractère personnel intègre, ni du rôle de l’entreprise privée dans la stimulation de la croissance économique d’une nation. Nous ne percevions pas non plus que l’entreprise coloniale — malgré ses injustices incontestables — avait aussi donné naissance à des institutions d’une réelle utilité : des tribunaux indépendants qui fonctionnaient ; des systèmes de santé publique généralement compétents ; et une fonction publique professionnelle régie par les General Orders, qui stipulaient qu’un fonctionnaire servait la nation, et non un parti politique. Même les anciennes procédures parlementaires, que nous tournions en dérision comme des reliques élitistes, constituaient en réalité des garde-fous destinés à prévenir l’arbitraire. Quant aux forces de police — qui, aujourd’hui, dans trop de nos îles, fonctionnent comme des milices partisanes — elles étaient autrefois tenues de demeurer à l’abri de toute ingérence politique. Voilà des leçons que nous n’avons apprises que plus tard — dans certains cas, trop tard.
Dans ce contexte, la chute de la génération progressiste des années 1970 apparaît plus clairement. Ralph Gonsalves est issu de cette génération, mais, comme nombre de ses contemporains, il a dirigé dans une culture politique où la quête du pouvoir a fini par engloutir le devoir de servir. Trop peu de ces dirigeants ont un jour affronté honnêtement la démagogie et les pulsions antidémocratiques qui ont consumé la Révolution grenadienne — une révolution que beaucoup d’entre nous avaient jadis prise pour une nouvelle Jérusalem. À la place, ils ont normalisé des machines électorales fonctionnant comme des cirques itinérants, offrant le spectacle plutôt que la substance et insultant l’intelligence de nos populations.
Où se trouve la discipline intellectuelle nécessaire pour conduire un peuple vers l’autonomie ? Où sont les programmes capables de créer des académies des arts et des sciences — chimie, mathématiques, ingénierie, agriculture, sciences marines, physique — ces disciplines sobres et exigeantes qui édifient une civilisation ? Trop souvent, nos sociétés se réfugient dans le rhum, la drogue et la politique de dépendance.
Aucune des grandes figures de cette génération des années 1970 n’a encore réuni nos peuples — chez eux comme dans la diaspora — de manière véritablement non partisane pour affronter les crises de notre région : l’effondrement de l’innovation scientifique et technologique ; l’épidémie de criminalité qui force nos citoyens à vivre derrière des barreaux ; et la corruption qui a transformé bien des fonctions publiques en marchepied pour les chefs de parti et leurs courtisans. Ils se tiennent côte à côte pour défendre des hommes comme Roosevelt Skerrit tandis que notre tissu social se délite.
Tant que nous n’enseignerons pas à nos peuples la valeur du service non partisan, tant que nous ne restaurerons pas l’ingénierie morale jadis inculquée dans chaque foyer caribéen — « l’honnêteté est toujours la meilleure politique », « qui se ressemble s’assemble » — nous ne ferons que réarranger les chaises longues sur le Titanic. Gonsalves a accompli certaines bonnes choses, tout comme Skerrit. Mais tout bien est annulé lorsque l’arrogance, l’ambition dynastique et la soif de pouvoir engendrent des oligarchies convaincues qu’elles doivent rester au pouvoir pour toujours.
Demandez à n’importe quel acteur politique de stature combien de temps il consacre au devoir civique, au mentorat ou au service bénévole dans sa communauté. Beaucoup resteront silencieux. Le développement est devenu un sport de spectateurs, et trop de nos élites occupent les tribunes pendant que le navire coule.
J’espère que Ralph Gonsalves écrira un mémoire rigoureux sur ses vingt-cinq années au pouvoir. Il pourrait en naître un véritable travail intellectuel, et les générations futures — y compris des dirigeants comme le Dr Friday — pourraient y apprendre que la grandeur ne se mesure pas seulement aux accomplissements, mais à l’humilité, à la retenue et à la volonté de construire des institutions plutôt que des cultes.
Les États-Unis aujourd’hui, comme notre archipel caribéen, offrent un avertissement sévère : les sociétés qui échouent à cultiver la pensée sobre, la citoyenneté disciplinée et des institutions robustes finissent par se désagréger. La correction commence par l’honnêteté, par la compréhension historique et par le courage de rompre avec l’ivresse du pouvoir.
Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons espérer bâtir une Caraïbe digne de ses rêves.



