Une domination économique inscrite dans les représentations
La question de la domination coloniale et de l’entrepreneuriat guadeloupéen et martiniquais ne peut être abordée sérieusement sans interroger ce qui, en profondeur, façonne les représentations collectives de l’argent, du capital, du risque et de la légitimité économique. Bien avant les obstacles administratifs, l’accès historiquement restreint au crédit bancaire ou la domination visible de groupes extérieurs, il existe une chaîne mentale économique et monétaire héritée de l’histoire, transmise de génération en génération, qui continue d’entraver la capacité des populations locales à se projeter comme détentrices légitimes du capital et comme actrices centrales de leur propre économie. Déconstruire cette chaîne mentale n’est pas un exercice idéologique abstrait : c’est une condition matérielle de l’émancipation économique.
Une intelligence économique ancienne, mais empêchée
L’histoire des koudmen, des tontines et des premières mutuelles en Guadeloupe et en Martinique en constitue une démonstration éclatante. Ces systèmes d’entraide et de microcrédit d’origine africaine, fondés sur la confiance et la réciprocité, sont une réponse économique rationnelle à une exclusion structurelle des institutions financières coloniales. Ils ont permis de transformer une épargne dispersée en capacité d’investissement, mais sans jamais accéder à une accumulation à grande échelle, le cadre capitalistique restant verrouillé par l’économie de plantation et les compagnies métropolitaines.
Du blocage matériel au blocage mental
L’impossibilité historique d’accéder durablement au capital a produit une intériorisation de la dépendance économique. Le plafond de verre entravant l’entrepreneuriat local n’est pas seulement financier ou réglementaire : il est aussi symbolique et psychologique. Cette situation est liée à l’absence historique d’une bourgeoisie nationale guadeloupéenne, conséquence directe de la rupture révolutionnaire de la fin du XVIIIe siècle, contrairement à la continuité patrimoniale observée en Martinique.
La domination contemporaine comme produit d’une continuité historique
La domination actuelle des groupes békés martiniquais et métropolitains n’est pas une anomalie morale mais le résultat logique d’une continuité du capital d’un côté et d’une fragmentation historique de l’autre. Les tentatives de conquête du grand commerce par des acteurs afrodescendants ont échoué faute de fonds propres suffisants, confirmant que la question centrale reste celle de l’accumulation et de la transmission du capital.
Une fenêtre historique : technologie, diaspora et réappropriation du capital
Les mutations technologiques et énergétiques ouvrent une opportunité inédite de réappropriation du capital local. Intelligence artificielle, transition énergétique et infrastructures numériques abaissent les barrières à l’entrée, à condition qu’elles s’accompagnent d’un actionnariat local, de clubs d’investissement et d’instruments financiers adaptés. La diaspora apparaît ici comme un levier décisif pour briser simultanément le plafond de verre mental et financier.
Semer autrement pour reconstruire
À l’horizon 2030–2035, deux trajectoires se dessinent : une modernité sans souveraineté économique ou la construction d’un capitalisme local inclusif fondé sur la circulation de l’épargne, la gouvernance partagée et la transmission intergénérationnelle du capital. Déconstruire la chaîne mentale économique et monétaire, c’est accepter de semer autrement afin de faire émerger une nouvelle classe dirigeante économique locale.
« Connais ton adversaire, connais-toi, et tu ne mettras pas ta victoire en danger. Connais le ciel et connais la terre, et ta victoire sera totale. » — Sun Tzu, L’Art de la guerre
Jean‑Marie Nol
Économiste, juriste en droit public



