À partir de deux contributions publiées dans Antilla — l’interview de Mireille Pierre-Louis, spécialiste des finances publiques et des Outre-mer, et la réponse critique de Jean-Marie Nol, économiste et juriste en droit public, Marcellin Nadeau propose une mise en perspective des débats actuels sur le fonctionnement économique des Antilles. En confrontant ces deux lectures, il restitue les principaux arguments, les points de convergence et les divergences d’analyse, tout en élargissant la réflexion aux dimensions sociales, institutionnelles et environnementales du développement des territoires ultramarins.
Une tribune qui offre des – ses – clés de compréhension utiles pour appréhender un débat complexe, au cœur des enjeux contemporains des Antilles.
De l’air, de l’air ! Cette exhorte d’Aimé Césaire écrite dans la revue Tropiques en février 1944 (n°10) et visant à définir ce que pourrait être une « saine politique antillaise : ouvrir les fenêtres. De l’air ! De l’air ! » » au sortir du second conflit mondial a gardé toute son actualité.
Les deux articles publiés par la revue Antilla, l’un consistant en une interview de Mireille PIERRE-LOUIS, spécialiste des finances publiques et des dits outre-mer, ancienne cheffe de la cellule Europe de Guyane, publié le 12 décembre 2025, et l’autre d’une « réponse critique » de Jean-Marie NOL, économiste et juriste en droit public en Guadeloupe, publiée le 13 décembre 2025, le montre éloquemment, et sont pour moi d’un grand intérêt réflexif sur notre société. Et il faut remercier l’hebdomadaire martiniquais d’apporter, ce faisant, une contribution intellectuelle utile à une pensée critique et systémique hors de toute caricature.
Ces deux articles amènent en effet l’élu et le militant que je suis en quête de sens à les interroger tant ils sont tous les deux riches d’analyses.
Mireille PIERRE-LOUIS et Jean-Marie NOL nous proposent en miroir une analyse des enjeux socio-économiques des Antilles. Leur approche est riche en contenu, et présente certaines observations qui mériteraient selon nous d’être examinées à travers le prisme des thèses de Patrick VIVERET, penseur auquel je suis attaché. Ce dernier, en effet, dans ses travaux, plaide pour une redéfinition des valeurs économiques, en mettant l’accent sur l’importance de l’éthique, de la solidarité et d’un développement durable. C’est à travers cette « grille de lecture » que modestement j’aborde pour ma part la lecture des deux articles de nos spécialistes.
Car les approches de Mireille PIERRE-LOUIS et Jean-Marie NOL dans Antilla offrent une base intéressante pour réfléchir aux enjeux politiques présents des Antilles. Une telle démarche permet de facto de considérer les Antilles non seulement comme un espace économique, mais comme des territoires riches en culture, en solidarité et en potentiel de développement durable.
Double lecture
Mireille PIERRE-LOUIS, à la suite de son article dans la revue Mediapart intitulé « Laboratoire d’un ultralibéralisme dévastateur : les confettis de l’Empire » a été interviewée par Antilla. Elle dénonce « un système économique, politique prônant le libéralisme absolu, encourageant l’économie de marché, l’entreprise privée, le désengagement de l’État ». Bref un virage ultralibéral pris par la France ces dernières années et se déclinant inexorablement dans les dits outre-mer. Elle met en corrélation le « déclin des Antilles » avec les « transferts de lourdes charges sociales de l’État vers les collectivités territoriales lors de la décentralisation de 2003, pour justement éviter les déficits excessifs de l’État, proscrits par Bruxelles ».
Elle alerte aussi sur les « menaces ciblées du Projet de loi de Finances pour 2026 » qui « doivent résonner comme un ultime avertissement pour l’Outre-mer du désengagement de l’État qui s’appelait autrefois « développement endogène » promu par l’État en 2009 » et aujourd’hui « différenciation », en dépit des préconisations non appliquées faites par plusieurs rapports de la Cour des comptes. Elle constate que l’État consacre à peine 22 MdsE sur 660 MdsE soit 3,6% du total aux dits Outre-mer, ce qui est inférieur à leur poids démographique, et que les prestations sociales versées aux ménages n’y représentent qu’1% du budget de la Sécurité sociale.
On est loin du discours et de l’antienne d’assistanat généralement véhiculés stupidement. Au contraire, dit-elle, « les prestations sociales versées aux ménages, ramenées au nombre d’habitants, sont deux fois plus faibles en moyenne dans les DOM ». Et de dénoncer avec nous le fait que « la vie chère » est un phénomène plus structurel que conjoncturel dont l’absence de traitement de fond impliquera inexorablement à nouveau de fortes explosions sociales dramatiques, l’État se défaussant de ses responsabilités sur des groupes oligarchiques locaux chargés de « tenir » la colonialité à moindre coût pour l’État et à fort rendement pour eux. Il n’est pas anodin que depuis 2018 le budget de l’État pour les Antilles soit gelé et que ce soit les Antilles qui fassent les frais du rattrapage voulu par l’État en faveur de Mayotte, de la Guyane et de La Réunion. D’où aussi le « rééquilibrage » des investissements du groupe GBH vers Mayotte et la Réunion ou encore récemment vers la Guyane (Décathlon, rhums, etc.). Et, nous en sommes à nous demander si ce repositionnement stratégique du pouvoir français ne constitue pas l’une des causes de l’inexorable déclin démographique des Antilles observé.
Dans un tel contexte, avec Mireille PIERRE-LOUIS, nous considérons que l’un des derniers outils majeurs qu’il nous reste, c’est l’octroi de mer qui a permis (malgré les critiques qu’on lui fait) aux collectivités martiniquaises et guadeloupéennes « d’éviter de sombrer complètement, et cela dans le déni et la plus grande indifférence de l’État ». De fait, nous disposons là d’un levier fiscal qui pourrait être plus finement utilisé. De fait aussi, l’État devrait logiquement restituer les 600 millions d’euros de TVA qu’il perçoit aux Antilles et qu’il s’accapare au lieu de les consacrer à leur développement.
Comme on le voit, nous partageons donc certaines des approches de Mireille PIERRE-LOUIS qui méritent considération. Et nous sommes de plus en plus inquiet devant la cécité ou la légèreté avec laquelle les gouvernants français abordent les défis des dits Outre-mer. Au moment où à l’instar d’Aimé CESAIRE, il aurait fallu « ouvrir les fenêtres : donner de l’air ! de l’air ! », nous ne constatons que le renfermement social, intellectuel et économique de l’État local comme de l’État central. Tout cela est de mauvais augure. Mais dans cette perspective sombre, nous lisons également avec intérêt l’analyse critique et roborative que fait Jean-Philippe NOL.
Une vision critique mais constructive
Ce dernier voit plusieurs points de « fragilité » dans la réflexion de Mireille PIERRE-LOUIS. Le premier serait l’usage du terme d’ « ultralibéralisme » pour définir les maux présents de nos sociétés dites d’outre-mer, alors que celles-ci recouvreraient des « dynamiques complexes, où se mêlent contraintes européennes, choix budgétaires nationaux, rigidités administratives françaises et faiblesses structurelles propres aux économies antillaises ». Pour lui, la grille de lecture ultralibérale ne serait pas appropriée, préférant parler de « néo-libéralisme ». Nous ne rentrerons pas dans ce débat d’ « initiés » ou d’experts économiques ici. En revanche, il est vrai qu’aux Antilles 80% du PIB est issu de la dépense publique, et que notre réalité est plutôt celle d’une « hyperdépendance à la commande publique héritage du système colonial, qui rend le tissu économique vulnérable à la moindre contraction budgétaire ».
De fait, et cela replace à notre avis à leur juste valeur les critiques parfois exagérées de milieux économiques antillais dénonçant tantôt une société encadrée par l’État, alors même que sans celui-ci et sa manne financière beaucoup d’entreprises ne pourraient exister outre-mer. Et, tantôt, en contrepoint, la contestation par ces mêmes milieux d’un retrait possible des aides fiscales ou sociales possible dans le PLF 2026 (LODEOM). Or, celles-ci nous paraissent contre-productives.
Pour illustrer cette idée de mesures contre-productives, on peut prendre l’exemple des aides fiscales à l’investissement privé. Politique que l’État a déployée à grande échelle depuis 40 ans, sous forme de lois diverses et variées (Lois d’extension et d’adaptation à l’Outre-mer de 1996, LOOM de 2000, Loi « Girardin » de 2003, LODEOM de 2009, Loi de 2013, Égalité réelle de 2016, etc.). Aujourd’hui, cette dépense fiscale, soit sous forme de réductions d’impôts ou de déductions fiscales, c’est à peu près 800 millions d’euros par an, tous territoires confondus. Si vous mettez en face le montant d’investissement privé dans les territoires, vous constatez qu’il est insuffisant. On peut comparer le montant de l’investissement par tête d’habitant dans chaque territoire par rapport à celui existant dans le dit Hexagone, et l’écart est assez substantiel. Donc, cela incite à se dire que ces aides n’ont pas fait décoller l’investissement. En réalité, là aussi, si vous creusez un peu et regardez la situation des entreprises, vous vous apercevez que ces aides agissent plutôt comme des aides au fonctionnement. Elles aident en réalité les entreprises à faire face à leurs contraintes de fonctionnement. Elles ne servent pas à l’investissement. C’est pour cela que j’évoquais leur caractère contre-productif. Elles ne font pas ce qu’on en attend, et en fait, elles créent une situation dont il est très difficile de sortir. En réalité, pour détricoter tous ces dispositifs d’aides souvent inefficaces, naturellement, on devrait les arrêter. Mais si vous les arrêtez, vous créez des difficultés financières pour beaucoup d’entreprises. Donc, c’est extrêmement compliqué.
Un second point de « fragilité » relevé dans le propos de Mireille PIERRE-LOUIS serait celui de « fatalisme économique » affirmant que sans l’État rien ne pourrait se faire économiquement, évacuant selon M. NOL une réflexion sur les causes profondes de la dépendance : « étroitesse des marchés, coûts de production élevés, normes importées de l’Hexagone, fiscalité complexe, barrières à l’entrée, monopoles de fait et capitalisme de rente découlant du passé colonial ». Pour M. NOL, le problème n’est donc pas tant celui de « trop de libéralisme » qui étoufferait les économies antillaises que d’absence de véritables conditions de marché concurrentiel. Nous le rejoignons là sur ce point, et partageons avec lui l’idée que les dispositifs complexes comme ceux de la LODEOM doivent être passés au scanner de l’efficacité économique. Trop souvent, ils sont en effet dévoyés, mal calibrés, inefficaces et ont un effet pervers amputant toute initiative, voire favorisent des postures de rente. Qu’a fait l’État ? Qu’ont fait les autorités face à ces situations ? La stratégie a été de compenser ce que l’on a analysé comme des handicaps par des transferts de revenus, des transferts fiscaux, sociaux, au bénéfice des ménages et des entreprises. Mais la difficulté de cette pratique, c’est que cela ne s’est pas traduit par l’émergence de capacités de production suffisantes, de taux d’investissement suffisants et de la création de valeur ajoutée qui soient de nature à permettre une croissance endogène. C’est une croissance qui reste toujours tirée par la consommation et cette consommation continue d’être alimentée par beaucoup de ces transferts.
Au total, quand on regarde toutes les mesures qui ont été prises, leur accumulation dans la durée, on est obligé de constater qu’elles manquent de pertinence, qu’elles ne sont pas efficaces, qu’elles n’ont pas forcément produit les effets attendus, voire qu’elles ont été ou qu’elles sont contre-productives, qu’elles sont devenues des freins ou des sources de rigidité, des freins à l’innovation et à la concurrence. Donc, il s’agit là du cadrage global. C’est important de faire ce constat, ce diagnostic, parce qu’en creux, vous pouvez identifier les leviers pour casser cette dynamique. Et on a envie de dire à tous nos libéraux patentés : chiche ! Allez-y ! Ayez le courage de remettre en cause ce qu’il convient d’appeler une économie de connivence et de rente.
Une écologie émancipatrice et humaine
A l’aune de cette double lecture critique et instructive, nous rejoignons les thèses de cette autrice et de cet auteur, exposées dans le magazine Antilla. En effet, nous ne pouvons qu’être en phase avec l’idée exprimée par l’un comme par l’autre que nos sociétés dites ultramarines ne sont utilisées que comme « variables d’ajustement budgétaire et politique ». Il y a d’évidence de la part du pouvoir « colonial » une stratégie d’évitement des marchés économiques et financiers qui décident arbitrairement des priorités territoriales et des politiques publiques. C’est pourquoi les Antilles ne peuvent être appréhendées uniquement à travers le prisme de la croissance économique. Et c’est pourquoi leurs thèses devraient intégrer avec profit une approche plus holistique, prenant en compte les dimensions culturelles et identitaires qui façonnent la vie des habitant-e-s. Patrick VIVERET nous offre, dans ses réflexions, l’idée de la nécessité d’une économie au service de l’homme. Il propose de dépasser le simple calcul économique pour considérer les impacts sociaux et environnementaux des décisions économiques. Une « géo-écologie humaniste » qui nous incite à explorer comment les dynamiques économiques affectent la cohésion sociale et la culture antillaises.
L’autrice et l’auteur évoquent, brièvement, les défis environnementaux auxquels font face les Antilles, mais leur traitement est souvent anecdotique. Il est pour nous essentiel et au cœur de notre approche politique et économique. Dans le contexte du bouleversement climatiques et des catastrophes naturelles, cette approche « durable » ou « soutenable » est essentielle. Patrick VIVERET insiste sur son importance, sur la mise en exergue d’une économie circulaire et de pratiques durables, qui pourraient offrir des solutions innovantes aux problèmes spécifiques des territoires dits d’outre-mer. Les Antilles, avec leur biodiversité unique, ont besoin d’un nouveau modèle de développement qui préserve les ressources naturelles tout en favorisant l’économie locale. Mireille PIERRE-LOUIS et Jean-Marie NOL pourraient avec profit selon nous intégrer des principes de durabilité dans leurs analyses, en s’inspirant des idées de Patrick VIVERET sur l’éthique de l’économie, en intégrant la dimension de la solidarité entre les Peuples des Antilles et leurs diasporas. Il met en avant l’importance des liens communautaires et de la solidarité comme leviers de développement. Les Antilles, face à des défis communs, pourraient tirer profit d’une coopération renforcée entre leurs différentes îles, ainsi qu’avec la diaspora antillaise à l’étranger. La solidarité doit en effet être au cœur de toute stratégie de développement.
Mireille PIERRE-LOUIS et Jean-Marie NOL apportent ainsi une contribution significative à la compréhension des enjeux antillais. Avec eux, nous croyons que les défis auxquels font face les économies dites d’outre-mer nécessitent des solutions innovantes et diversifiées, la construction d’un nouveau modèle économique. En s’appuyant sur une vision holistique, les chercheurs/ses pourraient non seulement enrichir leur analyse, mais aussi proposer des pistes de réflexion qui répondent aux attentes des populations comme des Politiques. En plaçant l’humain au cœur des préoccupations, Patrick VIVERET nous offre un cadre. Aux chercheurs et aux Politiques de le remplir…
Pistes pour un nouveau modèle économique
Nous en retirons plusieurs enseignements.
Tout d’abord, le désengagement de l’État et l’omniprésence des oligopoles dans les régions dites d’outre-mer françaises est un phénomène complexe qui mérite une analyse approfondie, tant sur le plan historique qu’économique. Ce désengagement a des implications significatives sur le développement socio-économique de ces territoires. Et nous sommes favorables à une libération des énergies par l’outil que constituerait une loi antitrust de nature à faire sauter le verrou de la concentration du marché (nous la déposerons dans les premiers jours de l’année 2026). Rien de révolutionnaire là : une telle loi existe par exemple en Suisse qui n’est pas à notre connaissance un régime de type castriste. Cette « respiration » devrait s’accompagner d’un retour des investissements ciblés et contrôlés de l’État, avec la mise en œuvre de vraies politiques publiques, développées en subsidiarité avec les collectivités. C’est en effet ce désengagement de l’État qui a permis aux oligopoles de se renforcer dans des secteurs clés tels que l’agroalimentaire, le transport et l’énergie. Cette concentration a entraîné une hausse des prix et une diminution de la concurrence. Par exemple, dans les Antilles, le secteur de la distribution est dominé par quelques grandes entreprises, ce qui limite les choix des consommateurs et impacte négativement le pouvoir d’achat. Il faut sortir de cet « étouffement » que le Ministre d’État, Manuel VALLS, a très justement souligné.
On ne va pas changer la taille des territoires, mais on peut peut-être faire en sorte que les règles du jeu en matière de commerce ou de fonctionnement des marchés soient plus transparentes.
Il y a des rigidités sur les marchés des biens, sur le marché du travail. Le marché du travail est assez emblématique. Vous avez des taux de chômage qui varient entre 15% et 35%, alors que la moyenne dite hexagonale est un peu supérieure à 7%. À une exception près, qui est la Polynésie où l’on a un taux de chômage qui est de l’ordre de 8 % aujourd’hui, avec comme corollaire un système complètement indépendant du système français en matière de protection sociale et de protection contre le chômage. Donc, ce sont des règles du jeu très différentes, à la fois plus efficaces en termes de création d’emplois et plus protectrices des chômeuses et des chômeurs. Si on enlève la Polynésie, dans tous les autres territoires, vous avez des taux de chômage massifs. Et en même temps, une vraie difficulté pour beaucoup d’entreprises dans beaucoup de secteurs à recruter. Il y a donc une action à mener à ce niveau.
Ensuite, l’autrice et l’auteur de ces deux articles observent justement que la réduction de l’intervention de l’État a conduit à une dépendance accrue vis-à-vis des importations, rendant les économies locales vulnérables aux fluctuations des marchés internationaux. Cette dépendance est particulièrement visible dans les secteurs alimentaires, où une grande partie des produits provient de la dite métropole ou d’autres pays, augmentant ainsi la précarité économique des habitant-e-s. Nous devons avoir comme priorité la souveraineté agro-alimentaire. Recréer une filière industrielle. Et l’outil qu’est l’octroi de mer doit nous y aider.
Pourquoi cette priorité ? Parce que le retrait de l’État a exacerbé les inégalités sociales. Les populations les plus vulnérables, souvent marginalisées, souffrent d’un accès limité à l’éducation, à la santé et à l’emploi. L’absence de politiques publiques adaptées, fondées sur le « désenveloppement »[1] et l’autonomie, a également conduit à des taux de chômage élevés, en particulier chez les jeunes, limitant les perspectives d’avenir.
Bref, nous devons sortir de cette spirale de colonialité. De cet héritage de la colonie, de ce que l’on appelait le pacte colonial, dans lequel en fait la métropole avait le monopole de la relation avec la colonie. On a encore des traces de cet Exclusif colonial et cela conditionne énormément les structures économiques. Puis, vous avez un enjeu plus large d’investissement. Il faut améliorer la connectivité portuaire. On parle souvent d’îles, mais même en Guyane, qui est le seul territoire qui ne soit pas une île, l’approvisionnement se fait par le port. Plus de 90 % des approvisionnements en biens passent par la voie maritime. C’est là que tout se joue. Donc, si vous voulez que ces biens arrivent dans des conditions de prix, de coûts qui peuvent être absorbés localement, il y a un enjeu très fort sur tout ce qui concerne les opérations maritimes en mer et sur le port.
Il y a surtout la question de la transition énergétique. C’est un levier qui peut être extrêmement important parce que cela peut être un facteur de réduction des coûts de l’énergie et en même temps de création d’emplois. Pensée depuis la métropole, elle empêche la création d’une filière industrielle dans les dits Outre-mer. Car le statut de zone non interconnectée n’est pas une donnée immanente, c’est le résultat d’une politique. A nous de penser notre production et notre consommation énergétique de façon autonome, à échelle humaine, là encore en mettant au cœur de notre réflexion la gestion des risques majeurs.
Et puis, la dernière idée qui me paraît importante, c’est celle de la production agricole, de biens et de produits de consommation courante, animale et végétale. De la souveraineté agro-alimentaire. C’est anormal qu’un certain nombre de territoires, pour satisfaire les besoins locaux, soient obligés de faire venir massivement de l’extérieur ce qui est de nature à satisfaire les besoins de consommation locale. Cela soulève énormément de sujets, évidemment, puisqu’il s’agit, encore une fois, de détricoter une organisation qui trouve ses racines dans une histoire assez ancienne, insuffisamment connue, mais assez ancienne. Donc, cela prend du temps. Et mon message, c’est surtout de dire qu’on connaît les pistes, mais qu’il faut juste être persévérant et maintenir l’action dans la durée.
Alors, comment en sort-on ? Je crois que c’est une démarche d’ensemble. À mon sens, il n’existe pas de baguette magique, il n’y a pas une seule mesure qui suffira. C’est toute une démarche, tout un cadre. Quand je mentionne toutes ces pistes, cela ne veut pas dire que rien n’est fait. Mais c’est juste pour souligner qu’à mon sens, c’est bien là qu’il faut mettre l’accent. Et pour que ça marche, il faut être très persévérant, pédagogique. Et, pour reprendre l’antienne d’Aimé CESAIRE : « donner de l’air ! De l’air ! ».
Marcellin NADEAU
Député de la Martinique
Conseiller Territorial
[1] Cf. Marcellin NADEAU et Pascal MARGUERITTE, Nous sommes la Nature ! Ecologie, colonialité et liberté des peuples, éditions Idem, Paris 2024.



