Un équilibre budgétaire en trompe-l’œil
Le budget présenté par le gouvernement de Sébastien Lecornu s’apparente à un exercice d’équilibrisme où la prudence affichée masque difficilement la perspective d’un plongeon inévitable dans l’austérité. En apparence, l’exécutif se veut rassurant : il s’agit d’un plan de redressement mesuré visant à ramener le déficit public de 5,4 % du PIB en 2025 à 4,7 % en 2026. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : un effort de 30 milliards d’euros n’est qu’un avant-goût des 100 milliards nécessaires, selon le Conseil d’analyse économique, pour stabiliser une dette publique proche de 116 % du PIB. Autrement dit, le gouvernement recule pour mieux plonger, retardant une cure de rigueur dont les contours s’esquissent déjà.
L’impasse du jeu parlementaire et la responsabilité des élus ultramarins
Dans ce climat de défiance, la scène parlementaire s’enlise dans des postures où le débat d’idées cède le pas au calcul politique. Les motions de censure, vouées à l’échec, traduisent un théâtre institutionnel coûteux : plusieurs dizaines de milliards d’euros perdus faute de cohérence. Les députés et sénateurs, y compris d’outre-mer, réclament davantage de moyens sans réelle stratégie d’influence ni compromis possible. Comment espérer obtenir des engagements budgétaires quand la plupart des élus ultramarins s’enferment dans une opposition virulente au gouvernement ?
Cette posture victimaire finit par se retourner contre leurs propres territoires : la Guadeloupe et la Martinique paieront, les premières, l’absence de réalisme et de dialogue.
L’alerte de Victorin Lurel : un cri d’alarme justifié
C’est dans ce climat que la voix du sénateur guadeloupéen Victorin Lurel s’est élevée. Dans une analyse à charge, il dénonce un « mauvais budget » et une véritable « bombe budgétaire » à désamorcer d’urgence, estimant que les Outre-mer sont les « grands sacrifiés » des purges gouvernementales.
Il alerte sur une chute de 18 % des autorisations d’engagement dès 2026, soit 628 millions d’euros en moins, et redoute une baisse de 24 % d’ici 2028. Cette contraction ramènerait le budget des Outre-mer à son niveau d’il y a dix ans. Derrière les chiffres, c’est la capacité même des territoires à financer logements sociaux, infrastructures et soutien aux collectivités qui se trouve menacée.
Un contexte macroéconomique contraint
Mais cette critique, bien que légitime, ne peut ignorer le contexte national. Le gouvernement, confronté à une dette abyssale et à des engagements européens stricts, dispose de peu de marges. Les coupes budgétaires n’épargnent aucun ministère : elles relèvent d’un ajustement global, non d’une politique d’abandon ciblée.
Certaines lignes sont même préservées : continuité des fonds européens, sanctuarisation partielle des aides à l’emploi et à l’investissement productif, renforcement de la transparence de la dépense publique. L’enjeu n’est donc pas de choisir entre austérité et justice sociale, mais de concilier responsabilité budgétaire et équité territoriale.
Repenser la gouvernance et l’efficacité de la dépense
Le véritable défi ne tient pas tant à la baisse des crédits qu’à leur efficacité. Trop souvent, les fonds dédiés aux Outre-mer s’enlisent dans la bureaucratie, les retards d’exécution et la fragmentation des dispositifs.
Une réforme structurelle de la gouvernance — simplification, autonomie locale accrue, suivi des performances — pourrait permettre de maximiser les effets de chaque euro dépensé. Autrement dit, la réponse à la rigueur doit être structurelle, pas seulement comptable.
Le piège de la confrontation permanente
Il est illusoire de négocier avec l’État en multipliant les invectives et les motions symboliques. L’opposition systématique marginalise ceux qui s’y enferment. L’heure exige au contraire du réalisme et du courage politique. Car la rigueur n’épargnera personne : la hausse des impôts, la réduction des dépenses publiques et la réforme des retraites ne sont plus des hypothèses, mais des leviers incontournables du redressement national.
Le spectre de la Grèce : un avertissement à méditer
La comparaison avec la Grèce n’est plus un épouvantail idéologique. Les politiques d’austérité imposées à Athènes dès 2010 ont provoqué un effondrement social : gel des salaires, hausses massives de TVA, coupes dans les retraites, fermeture d’écoles et d’hôpitaux. Si la France persiste à s’endetter sans stratégie de croissance, elle pourrait connaître, à moyen terme, une spirale comparable — moins brutale, mais tout aussi destructrice.
Un pari risqué sur le temps et la patience
Le gouvernement français cherche pour l’heure à éviter le choc frontal, préférant lisser l’effort dans le temps. Mais ce pari de la patience, porté par Sébastien Lecornu, est dangereux. Les taux d’intérêt montent, les marchés s’impatientent et la crédibilité économique du pays s’effrite. Repousser les réformes, c’est préparer une cure de rigueur différée, plus brutale encore lorsque la réalité s’imposera.
Vers la fin du modèle social sans limite
Ce scénario pourrait marquer la fin d’un modèle social fondé sur l’illusion d’un État-providence extensible à l’infini. À force de retarder l’ajustement, on risque de le rendre violent. Le réalisme budgétaire suppose du courage, de la pédagogie et un projet de rassemblement. Or, ces vertus manquent cruellement à la classe politique actuelle. La France, à petits pas, s’enfonce dans une rigueur qu’elle refuse encore de nommer.
Lucidité plutôt que plainte, anticipation plutôt que colère
La Guadeloupe, la Martinique et l’ensemble des Outre-mer doivent anticiper plutôt que subir. Cela exige une stratégie de long terme, fondée sur la lucidité et non sur la plainte, sur la raison plutôt que sur l’émotion. Car une classe politique peut dissimuler de profondes fissures qui finissent par devenir des fractures. La leçon de cette séquence est claire : un pays qui se ment à lui-même prépare sa propre rigueur.
Le crépuscule du macronisme
Le président Emmanuel Macron semble désormais incarner cette ambiguïté française : entre volontarisme réformateur et épuisement politique. « Un sentiment de fin de siècle », écrit El País, décrivant un leader isolé, détesté, pris dans une spirale de déclin. Le réformiste sans parti, le technocrate devenu président, s’apprête à faire silence sans renoncer à influencer l’ombre. Mais comme le disait le cardinal de Retz : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. »
Proverbe créole
« Piman-la pa ka janmèn montwé fos ay » — Le piment ne montre jamais sa force.
Moralité : Méfiez-vous de l’eau qui dort.
Jean–Marie Nol, économiste et juriste en droit public.