CHRONIQUES DE LA DRÔLE DE GUERRE #2 / Ali Babar Kenjah PETITE SÉMIOLOGIE DU CONFINEMENT

Nous nous tenons là, étreints dans la croisée,
ils nous regardent depuis la rue :
il est temps que l’on sache !
Il est temps que la pierre veuille fleurir, qu’un cœur palpite pour l’inquiétude. Il est temps qu’il soit temps.
Il est temps.
Paul Celan, Corona

Les signes / Le sens

En tant que chercheur j’interroge les relations entre société et culture. Dans le cas présent ma pratique est privée de la profondeur historique que j’affectionne. Mais si l’analyse du sens profond est différée, nous reste – avec un certain intérêt – le rapport journalier des signes. Ainsi, le journal propose aux considérations ultérieures une balise datée et située, et l’atmosphère du moment…
Font signes les éléments forts, éléments-phares, de la phraséologie médiatico-étatique de l’ « urgence sanitaire ». Rarement déconfinés (c’est-à-dire décontextualisés), ces signes semblent s’aligner en configurations d’un sens des choses que le discours dominant présente comme impératif. Le Vrai. Je conteste toute lecture sous la dictée. J’affirme le vivant. Le mandat de ces gens ne leur donne aucun droit sur mes Droits. Je n’ânonnerais pas les infos du JT. Je ne crois pas au vaccin (Raoult non plus). Je crois que ces éléments bruts du discours officiel, ces signes, dessinent une transition masquée. Qu’ils en disent autant, polysémie naturelle, que ce qu’ils cachent.

Et les spectateurs d’applaudir, puis de retourner à
leurs comédies quotidiennes, satisfaits d’avoir vu
incarnée un instant, resplendissant dans sa
rareté, la morale toujours sauve qui les soutient.
Erving Goffman, Les rites d’interaction
.

Ereignis / l’Evénement / l’Avenance
L’être, déchante Heidegger, nous reste silencieux et obscur. Ce que nous sommes réellement nous échappe sans recours quelque soient nos tentatives, notre quête étant forclose dans la geôle de la langue et mise en scène par un monde d’objets qui ne renvoie qu’à nos appétits. Cependant, le maître défroqué de la Forêt Noire concède un cas-limite, une expérience exceptionnelle qui rapproche dans l’indicible la conscience de l’être. Ce surgissement foudroyant, Heidegger le situe au plus fort de la crise d’angoisse, angoisse précisément caractérisée par la suspension du sens et de la parole. Au plus
fort de l’angoisse, il n’y a plus rien qui intégrerait et viendrait comprendre la conscience comme un enveloppement. Rien qu’un vide béant, un néant hurlant mais qui n’est pas rien. Ce moment où toute discursivité est dissoute dans le chaos, ce moment en suspension, dénaturé, où l’être, le pourquoi, est dé-voilé sans pouvoir être nommé, le philosophe le nomme Ereignis, expression qu’on a traduit contradictoirement par l’Avenance ou par l’Événement. Une des interprétations de l’auteur précise : « l’Er-eignen est ce qui venant à paraître, se dissimulant par là même, devient lui-même. »
De l’événement que nous vivons « urgence sanitaire », je ressens la mise en suspension des corps. Nos corps libérés des injonctions de la croissance, pour aussitôt être pris en charge par les injonctions provisoires d’une mutation civilisationnelle qu’on nous covid (sic) à entériner depuis l’espace privatif de notre relégation politique. Nos corps sont suspendus à une sortie impossible de la crise, puisque dorénavant le virus sera toujours-déjà présent dans notre environnement. Ad vitam æternam ( « On » nous promet « le » vaccin pour dans dix-huit mois ou deux ans. Au mieux ! car, comme la grippe, ce virus est un mutant… )
Le vaccin promis figure ce pharmakon grec que décrit Jacque Derrida, terme ambigu qui dérive dans la coincidentia oppositorum (coïncidence des opposés) et la force bio logique de l’éternel retour. Le vivant ne se régénère qu’à travers sa confrontation cyclique à l’altérité surgissante de l’événement. Cette altérité radicale, ce (re)nouveau introuvable du monde, ils nous adviennent sous la double apparence du Bouc-émissaire et de la Panacée. Ces deux faces du pharmakon s’opposent et se redoublent à la fois. Le Bouc-émissaire est d’abord exhibé et choyé (le Roi Vaval africain ou le roi magicien de Frazer) puis il est sacrifié à l’Ouroboros du temps. Fin de règne, de récoltes, renouveau du Temps et de son énergie. De même, la drogue médicinale, toute plante, est à la fois un remède ou un poison. Liant les deux champs sémantiques, on peut dire que le bouc-émissaire est le remède ambigu des maux de la société. D’abord comme paria potentiel (étranger, noir, juif, hérétique, femme, handicapé ou enfant), il est victime de l’unanimité violente de la société puis, une fois son sang répandu sur tous, il est « récupéré » comme saint patron ayant donné sa vie (en remède) pour la communauté en crise (René Girard). Tout processus de (re)fondation sociale conjoint ces deux champs de la logique sacrificielle : l’expulsion violente du responsable présumé de l’épidémie hors de la communauté et l’exorcisme thérapeutique autour du corps social malade.
Le temps du pharmakon est un non-temps social (Saturnales ou Jours Gras). Parenthèse anomique, c’est une mise en suspension déclenchée par la « peste », l’en-Temps d’une gestation qui précède le déclenchement généalogique de la mémoire historique. Temps hors du temps où la geste épique et le geste d’urbanité se dissolvent dans l’hubris d’un chaos antéculturel (Les Bacchantes), dans la matrice primitive incréée qui accouchera du nouveau langage, d’un nouveau cycle du vivant.
Nous sommes possiblement en train de vivre ce temps matriciel, dans l’attente d’un pharmakon.
Cette suspension exceptionnelle du mécanisme social de masse confronte sans échappatoire l’imprédictible tragique du monde (que Glissant et Morin invitent à considérer joyeusement) au besoin vital pour le capitalisme d’une capacité d’anticipation, d’une lisibilité spéculative des choses. Potentiellement, les jeux sont ouverts et toutes les options se valent. D’une part, l’opinion siracide de Kwélèt, dit l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités… Rien de nouveau sous le soleil… » Quelque soient les circonstance, l’humain reste enfermé dans ce qu’il est, avec ses qualités et ses défauts éternels. Et puis, de l’autre, l’immense espérance messianique (Walter Benjamin, Ernst Bloch, Aimé Césaire) d’un basculement du monde où « les derniers seront enfin les premiers ». Entre les deux, la gamme mystique mi-raison des militances pragmatiques.

Je ressens fortement chez mes camarades activistes et syndicalistes un sentiment d’espoir, énoncé en termes de « Ils ne pourront pas repartir sans nous. Ils devront bien négocier !!!», sentiment gonflé de détermination par la nouvelle légitimité des luttes menées ces dernières années pour sauver l’hôpital public et la protection sociale. Mais au fond, je crains qu’ Ils ne fassent tout pour qu’il n’y ait pas vraiment de « jour de la rentrée ». Et peut-être ne s’agit-il pas tant de « rentrer » que d’entrer ?
Très clairement, dans notre conjoncture, Gramsci convie l’intellectuel organique de la révolution à préparer une guerre de mouvement, après avoir tenu les tranchée durant des décennies. Et, dans l’urgence, de se faire lanceurs d’alerte malgré les foudres jupitériennes ou la colère de Confucius. Honneur au Dr Li Wenliang, pionnier de la lutte contre l’épidémie, diffamé et persécuté comme anti- patriote, mort non pas au front mais le front haut, le 5 février 2020. Honneur au Pr Raoult qui, face à la technocratie vaccinale et à l’ordre mandarin, a incarné l’héritage d’un certain humanisme. Honneurs à ces corps professionnels subalternes, que le mépris accumulé durant toutes ces années rend encore plus sublimes. Ils nous disent que l’arrêt n’est pas la mort. Et que nous voulons vivre.

Covid-19 / SARS-CoV2
La nomination internationale de la pandémie marque le renversement d’un rapport de force mondial. L’échec des États-Unis à imposer, notamment à l’Europe, le terme « virus chinois » pour désigner la catastrophe (à l’instar de l’infamante « grippe espagnole »), signe leur perte du leadership planétaire. Dans le bras de fer pour le pouvoir de nommer le monde, les « alliés » européens des USA avaient plus à perdre à s’aliéner les bonnes grâces de M. Xi que de se soumettre à la grossière propagande de Donald Trump. Inversion des pôles et des rôles.
Covid-19 désigne la pandémie. Le virus qui en est responsable est le SARS-CoV2 (Syndrome Aigu Respiratoire Sévère). Ce qui rend dangereux cette variété de coronavirus n’est pas tant sa dimension létale (bien moindre que celle d’Ebola mais 3 à 5 fois plus mortelle qu’une grippe) que sa contagiosité exceptionnelle. Le virus se répand d’autant plus vite et d’autant plus loin que ses porteurs peuvent rester longtemps indétectables. SARS-CoV2 est relativement fragile (du savon de Marseille suffit pour l’éliminer) et se révèle surtout dangereux pour certains profils cliniques dont il affaiblit considérablement les capacités respiratoires (individus en surpoids, faiblesses immunitaires).
Le virus apparaît probablement en septembre 2020 à Wuhan. Les lanceurs d’alerte chinois situent en novembre l’accélération de l’arrivée des cas aux urgences. Les autorités déclarent le premier cas à la mi-décembre. La chronologie officielle des autorités chinoises pose problème car elle est fausse. Dans quelle mesure et dans quel but ?

Épidémie / Pandémie
C’est sans doute la première fois que l’articulation logique (médicale) épidémie/pandémie s’est ancrée dans le champ de la culture générale (non spécialisée). C’est, depuis les deux guerres mondiales, la première catastrophe humaine à scenario mondialisé. Et donc, nous avons dû marquer l’écart et la distance entre le terrain local, les fameux « clusters » ou foyers épidémiques, et le niveau suivant de réalité pertinente des choses lorsque le virus a dé-bordé. Ce niveau de pertinence du réel n’était plus l’échelon national mais le niveau mondial. Sitôt que vous échouez à contenir localement la propagation du virus (épidémie), le problème devient mondial (pandémie) et affecte par capillarité les populations les plus éloignées. Quid de la protection de la nation et de l’État-nation ?

Le réflexe de fermeture des frontières qui a prévalu en Europe (même Macron dû s’y résoudre), est le chant du cygne d’un monde où la nation westphalienne s’est construite sur l’appropriation étatique des corps (blancs). C’est pourquoi, en Europe, la santé est restée prérogative éminemment nationale. En dépit de ce rôle stratégique, la santé publique fut soumise aux politiques structurelles libérales de profitabilité qui entendaient soumettre l’économie sociale aux lois du marché. Désormais la politique de santé dépend de partenaires économiques puissants, engageant d’énormes moyens stratégiques de l’État dans des alliances planétaires, dessinant un univers impitoyable. En France, ces principaux acteurs ont pour nom : Institut Pasteur, Fondation Mérieux, Inserm, Sanofi.
Pour l’essentiel ils sont unis, en partenariat avec les Chinois, autour de l’ « Objectif vaccin », un enjeu géopolitique de biopouvoir qui rapportera des dizaines de milliards…
Le paradoxe inexpliqué de la trajectoire du virus reste qu’en Chine proprement dite, la dimension pandémique fut évitée. Et que, semble-t-il, ni les hôpitaux de Beijin, ni ceux de Shanghai ou de Shenzhen ne furent débordés par des vagues de malades infectés au Covid-19. Ou bien n’est-ce là qu’effet de propagande et retouches vidéos masquant une réalité plus sombre ?
Tout se passe comme si l’Empire du Milieu, centre productif de la mondialisation et foyer de diffusion de la pandémie, constituait une bulle protégée au coeur de cette mondialisation. Manifestant ainsi que M. Xi et le PCC détenaient désormais, de facto, la maîtrise du savoir/pouvoir mondialisé.
Ultime considération : le virus fait désormais partie de notre environnement. Sauf à imaginer le déversement de millier de tonnes de DDT pour un résultat hypothétique (on a déjà essayé pour éliminer le moustique), il nous appartient d’inventer proactivement une manière de vivre avec lui.
(Cette chronique est à suivre dans nos prochaines éditions. Nous remercions Kenjah pour sa contribution.)

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