Journal des Caraïbes
La ville de Saint-Pierre, au nord de la Martinique, est mondialement connue pour la terrible tragédie qui s’y est déroulée le 8 mai 1902, lorsqu’une éruption de la montagne Pelée a détruit la zone urbaine et tué près de 30 000 personnes. Ce drame a marqué la fin de l’histoire du « Petit Paris des Antilles », une ville prospère et dynamique qui possédait l’un des ports les plus actifs des Caraïbes insulaires, une chambre de commerce dynamique, des bâtiments prestigieux comme le théâtre et la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption, et des services modernes comme l’électricité et le téléphone.
Dix consulats y furent établis, représentant les intérêts de la Belgique, du Danemark, de la République dominicaine, de la Grande-Bretagne, d’Haïti, de l’Italie, des Pays-Bas, de l’Espagne, du Royaume-Uni de Suède et de Norvège, et des États-Unis d’Amérique.
Le développement exceptionnel de Saint-Pierre remonte au XVIIe siècle. Fondée en 1635, la colonie fut la capitale de la colonie française de la Martinique jusqu’en 1692, date à laquelle le siège du gouvernement de l’île fut transféré à Fort-Royal (aujourd’hui Fort-de-France). Cependant, la ville resta la capitale économique et culturelle de la colonie. Elle prospéra d’abord grâce à l’agriculture et à l’industrie sucrière (associée à l’esclavage jusqu’à l’abolition définitive de ce système sinistre dans les colonies françaises en 1848), mais au XIXe siècle, elle s’affirma également comme un important centre de production de rhum.

Arrivé dans les eaux martiniquaises le 27 juillet, le brick américain fut abordé de manière hostile par un navire britannique ancré dans le port de Saint-Pierre, le Shark . Bingham fut alors ramené à terre, et les deux navires engagèrent un combat, interrompu par des coups de canon tirés sur le Shark depuis la batterie de Sainte-Marthe (à Saint-Pierre). Pour la toute première fois, l’armée française venait en aide aux patriotes américains. Par la suite, ces derniers reçurent un accueil très chaleureux et une protection officielle en Martinique. Bingham fut reconnu comme représentant des États-Unis par le gouverneur d’Argout et s’installa à Saint-Pierre (où il resta en poste jusqu’en 1780). Quant à Wickes, il quitta l’île le 26 août, emmenant avec lui quatre officiers français qui souhaitaient rejoindre l’armée de Washington.
Les échanges entre Bingham, Wickes et les autorités de la Martinique aboutirent à l’établissement d’une véritable alliance stratégique entre cette colonie française et les États-Unis, annonçant la grande alliance franco-américaine officialisée par le traité du 6 février 1778. Jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance américaine en 1783, Saint-Pierre joua un rôle crucial dans le conflit, servant les intérêts communs des Français et des Américains.

Naturellement, les États-Unis ouvrirent l’un de leurs premiers consulats à Saint-Pierre en 1790, le président George Washington nommant à ce poste un jeune vétéran de la guerre d’Indépendance, Fulwar Skipwith, originaire de Virginie. Après avoir servi dans des conditions difficiles – la France était alors en pleine révolution –, Skipwith quitta la Martinique en 1794, alors que l’île commençait à être occupée par les Britanniques. Ce n’est qu’en 1815 que le consulat rouvrit ses portes, dans un contexte de commerce croissant entre la jeune république nord-américaine et la Martinique. Le poste connut ensuite une activité importante et diversifiée, mais celle-ci fut brutalement interrompue par l’éruption du 8 mai 1902, qui tua la quasi-totalité de la population de Saint-Pierre, dont le consul américain Thomas T. Prentis, son épouse Clara Louisa, leurs filles Mary et Christine, le vice-consul américain Amédée Testart et sa fille Marie Louise.
Cette catastrophe eut des répercussions majeures aux États-Unis, première puissance étrangère à venir en aide à la Martinique, sous l’impulsion du président Théodore Roosevelt. Le 12 mai 1902, le Congrès américain vota un budget de 200 000 dollars pour des secours d’urgence, comprenant des vivres, des vêtements, du matériel pour la construction d’abris, des médicaments et le déploiement de personnel médical militaire. Il s’agissait de l’aide la plus importante accordée par un pays étranger à la Martinique après l’éruption dévastatrice de la montagne Pelée. Au-delà de l’action du gouvernement fédéral, la tragédie suscita un vaste mouvement de solidarité à travers les États-Unis. En reconnaissance de ce soutien, la municipalité de Fort-de-France décerna le titre de Citoyen d’Honneur à l’ancien président Théodore Roosevelt lors de sa visite en Martinique en février 1916.

Par ailleurs, la mémoire du consul Prentis, du vice-consul Testart et de leurs familles, morts lors de la catastrophe de 1902, a été honorée aux États-Unis comme en Martinique. À Saint-Pierre, qui s’est lentement reconstruite au milieu des ruines, l’ingénieur et volcanologue américain Frank Alvord Perret a inauguré un monument à Prentis en 1935, et en 1984, l’ambassadeur des États-Unis en France, Evan Griffith Galbraith, a fait apposer une plaque sur le monument à la mémoire de Clara Louisa, des deux filles du couple Prentis, et du vice-consul Testart.
Ce monument s’étant dégradé au fil du temps, la municipalité de Saint-Pierre a inauguré une pierre commémorative aux victimes des familles Prentis et Testart le 8 mai 2022, lors d’une cérémonie franco-américaine qui a également mis en lumière l’histoire de l’ancien consulat américain, dans le cadre de la traditionnelle période de commémorations appelée « Mai de la Saint-Pierre ». Située dans le jardin Louis-Ernoult, derrière la cathédrale, la pierre a été intégrée au mémorial du corps consulaire inauguré en mai de l’année suivante, aux côtés de monolithes honorant la mémoire des cinq autres agents consulaires disparus lors de l’éruption du 8 mai 1902.
Concernant Perret, il vint en Martinique étudier une nouvelle éruption de la montagne Pelée en 1929 et, quatre ans plus tard, il fonda un musée volcanologique à Saint-Pierre (qui était déjà une destination touristique réputée, y compris pour les Américains). Pour saluer son engagement envers la ville, la municipalité le fit citoyen d’honneur en 1937. Après le décès de Perret en 1943, le musée fut légué à la municipalité, conformément aux vœux de son créateur. Il fit l’objet d’une importante rénovation en 2018, grâce à une délégation de service public attribuée à la Fondation Clément, et fut rebaptisé « Mémorial de la Catastrophe de 1902 – Musée Frank A. Perret ». Ce site est devenu un pôle touristique majeur en Martinique.

Aujourd’hui, la municipalité de Saint-Pierre, dirigée par le maire Christian Rapha, reste déterminée à souligner la relation historique que j’ai brièvement évoquée dans cet article. Alors que les États-Unis s’apprêtent à célébrer le 250e anniversaire de leur Déclaration d’Indépendance l’année prochaine, des discussions sont en cours concernant la commémoration du rôle unique joué par le « Paris des Îles » dans la Révolution américaine, mais aussi, au-delà, afin de promouvoir les échanges entre Saint-Pierre et la patrie de George Washington, à la lumière de leur histoire commune.