Crise budgétaire et mouvement social au Prêcheur (Martinique) : les limites sociales du dispositif COROM
Le mouvement de grève des agents municipaux du Prêcheur, met en lumière les tensions sociales et structurelles générées par les dispositifs de redressement financier imposés aux collectivités territoriales d’outre-mer. La mise sous contrat COROM de cette commune – présentée comme un levier de stabilisation budgétaire – soulève de nombreuses interrogations quant à sa compatibilité avec les revendications des agents publics et les exigences locales de justice sociale.
Le COROM : un outil d’assainissement budgétaire contraignant
Mis en place par l’État en 2020, le Contrat de redressement Outre-mer (COROM) vise à accompagner les communes ultramarines confrontées à une situation financière particulièrement dégradée. Ce dispositif repose sur une logique conditionnelle : il prévoit un appui technique et financier de l’État en échange d’engagements stricts de la collectivité en matière de maîtrise des dépenses de fonctionnement, de réduction de la masse salariale, de réforme de la gestion fiscale et de rétablissement de l’équilibre budgétaire.
Dans le cas du Prêcheur, l’entrée dans le COROM apparaît comme une réponse à une situation budgétaire alarmante : le déficit de fonctionnement s’élevait, en 2023, à près de 3,9 millions d’euros, avant d’être corrigé à 2,4 millions d’euros pour l’exercice 2024 par la Chambre régionale des comptes (CRC). Ce déficit représente une part écrasante des recettes de fonctionnement, estimée à près de 84 %, ce qui place la commune dans une dynamique de quasi-déconfiture.
Une grève symptomatique d’une crise structurelle
Dans ce contexte, les revendications salariales exprimées par les agents municipaux grévistes se heurtent frontalement aux contraintes du COROM. Comme le précise le référentiel du dispositif, toute amélioration des carrières ou augmentation des rémunérations ne peut être envisagée qu’à condition de marges de manœuvre budgétaires avérées, ce qui est très improbable à court terme.
Pourtant, les agents évoquent une attente ancienne de revalorisation salariale, remontant à plus de quinze ans. Leur situation est souvent marquée par une précarité prolongée, des statuts parfois flous, et une charge de travail accrue dans un contexte de réduction continue des effectifs. Les syndicats dénoncent une forme de double peine : d’une part, les dysfonctionnements de gestion passés leur sont indirectement imputés ; d’autre part, le COROM, tout en prétendant restaurer la capacité d’action publique, impose une logique austéritaire qui place au second plan les besoins sociaux.
Une responsabilité politique partagée
Les difficultés du Prêcheur ne sont pas récentes. Les rapports de la CRC font état, depuis 2008, d’alertes répétées sur la viabilité budgétaire de la commune. Lors de la mandature de l’ancien maire Marcelin Nadaud – aujourd’hui député –, plusieurs plans de redressement ont échoué, dont le plan Cocarde, sans parvenir à inverser la tendance. Les déficits se sont accumulés, la masse salariale a explosé, et les retards de paiement aux fournisseurs se sont multipliés. Marcellin Nadeau a été élu pour la première fois maire du Prêcheur en 2008. Il a ensuite été réélu lors des élections municipales suivantes, notamment en 2020. À son arrivée, la situation financière de la commune était déjà préoccupante. Toutefois, CRC a dénoncé à plusieurs reprises l’insincérité des budgets adoptés par le conseil municipal, ainsi que la fragilité de la chaîne comptable et le manque de rigueur dans la gestion des ressources humaines. L’accumulation de ces dysfonctionnements a conduit à une perte de confiance institutionnelle et à une situation dans laquelle la commune se voit désormais placée sous un régime de surveillance budgétaire renforcé.
Le dilemme de la gouvernance locale
La municipalité actuelle se trouve dans une impasse : toute concession aux grévistes est susceptible de compromettre l’application du COROM et de menacer le soutien de l’État ; mais une fermeté rigide risque d’aggraver le conflit social et de dégrader encore le climat local. Cette tension met en évidence les limites de la gouvernance locale dans les petites communes ultramarines, souvent peu professionnalisées, dotées de faibles capacités administratives et largement dépendantes des transferts financiers de l’État.
La logique contractuelle du COROM, fondée sur des indicateurs de performance financière, entre ainsi en contradiction avec les exigences de justice sociale portées par les agents municipaux, mais aussi avec les impératifs de continuité du service public. En ce sens, la grève en cours ne saurait être réduite à une simple contestation salariale : elle reflète une crise systémique du modèle communal dans les territoires d’outre-mer.
Le cas du Prêcheur illustre de manière exemplaire les tensions entre rationalité budgétaire et revendications sociales dans les collectivités territoriales ultramarines. Si le COROM apparaît comme une solution de dernier recours pour éviter la cessation de paiement, il ne peut à lui seul résoudre les fractures sociales, les inégalités de traitement et le déficit de reconnaissance auquel sont confrontés les agents municipaux.
Une sortie de crise durable nécessite non seulement un accompagnement financier de l’État, mais aussi une réforme plus large de la gestion locale, un soutien renforcé à la professionnalisation des équipes administratives et une reconnaissance du rôle central des agents publics dans le tissu social communal de l’île, de plus en plus dégradé.
Gérard Dorwling-Carter