Fort-de-France, le 9 décembre 2025
Voilà quelques questions que tout Martiniquais devrait se poser à la veille de l’anniversaire des incidents survenus à Fort-de-France les 20, 21 et 22 décembre 1959. Les réponses ne figurent dans aucun manuel scolaire.
Qui sait qu’un banal accrochage entre deux véhicules, un dimanche soir de décembre 1959, sur la place de la Savane de Fort-de-France, a été à l’origine de la plus grande transformation qu’ait jamais connue le paysage martiniquais depuis l’introduction de la culture de la canne à sucre au XVIIᵉ siècle ?
Qui sait qu’au cours des années 1960-1970, au lendemain des événements de 1959, une réforme foncière — qui ne fut pas une réforme agraire — a permis de transférer des milliers d’hectares de terres agricoles des mains des Békés à celles de petits agriculteurs martiniquais ? Et cela, malgré les réticences du député Aimé Césaire et du maire du Lamentin, Georges Gratiant.
Qui sait que, depuis ces années-là, le spectacle de la parcellisation de milliers d’hectares a remplacé l’immense paysage uniforme des cannaies ondoyantes qui reliaient, via la plaine du Lamentin, les communes de Basse-Pointe à Sainte-Luce, de Saint-Joseph à Sainte-Anne, du Robert aux berges de Fort-de-France, des pentes du mont Pelé à celles de la montagne du Vauclin ?
Qui sait que les parcelles de deux à trois hectares issues de la réforme ont été vendues à des petits agriculteurs, via le Crédit agricole mutuel, à un prix incitatif fixé par un organisme d’État ? Qui sait que la plupart de ces petites propriétés, issues du démembrement des grandes habitations dans les années 1960-1970, ont été subdivisées — puis sous-subdivisées — par voie de succession, et qu’elles sont depuis largement perdues pour l’agriculture ?
Qui sait que cette transformation s’est accompagnée de la modernisation et de l’accroissement du réseau routier départemental, notamment avec l’autoroute Fort-de-France – Le Lamentin et la RN5 prolongée jusqu’au Marin via Rivière-Salée ?
Qui sait que les cases en paille et terre battue ont définitivement disparu après le passage du cyclone Edith en 1963, et que l’habitat rural s’est renouvelé aux trois-quarts, notamment grâce aux « maisons Satec » ?
Qui sait que le mitage du paysage martiniquais est l’une des conséquences non désirées de cette réforme : l’éparpillement, sans plan d’urbanisme cohérent, d’infrastructures, de zones d’activité et d’habitations, comme on l’observe aujourd’hui dans de nombreux espaces ruraux ?
Qui sait enfin ce qu’il serait advenu du territoire martiniquais si la totalité des grandes propriétés agricoles avait été démembrée et transférée dans le cadre de cette réforme foncière ? Aurait-il été possible d’envisager aujourd’hui une politique agricole cohérente sur des parcelles potentiellement occupées par des constructions sauvages ?
En réalité, la réforme foncière et ses suites sont largement ignorées des Martiniquais, y compris des enseignants actuels, car elles ne figurent pas dans les programmes universitaires. Et elles ne sont que l’une des nombreuses conséquences oubliées des événements des 20, 21 et 22 décembre 1959, qui virent la mort de trois jeunes hommes, tués par des éléments de la police locale — et non par des gardiens de CRS, contrairement à ce que des historiens ont laissé croire sur les ondes pendant plus de soixante-dix ans



