Source: Site Vert
Enquête de Rémi-Kenzo Pagès
La libération de la parole antiraciste touche désormais les mobilisations écologistes. À travers de nombreux témoignages recueillis dans une enquête publiée par Vert le 31 août 2025, plusieurs militant·es racisé·es dénoncent agressions, invisibilisations et discriminations au sein des organisations vertes, des Soulèvements de la Terre à Greenpeace, en passant par Extinction Rebellion.
Une réalité ancienne mais tue
« Ce n’est pas en 2025 qu’on découvre que les milieux écologistes sont blancs », rappelle le chercheur au CNRS Malcom Ferdinand, figure de l’écologie décoloniale. Selon lui, une longue histoire et une abondante littérature documentent déjà ces dynamiques. Les violences rapportées lors du festival Les Résistantes en août 2025 dans l’Orne n’ont fait que révéler un problème ancien et récurrent.
Témoignages d’humiliations et de discriminations
Tarik et Habib Ali Mohammed Musa, de l’association A4, racontent avoir subi des humiliations répétées : repas inadaptés imposés, désintérêt du public, sentiment d’exclusion. « J’ai vécu quatre ans à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et je ne suis toujours pas considéré comme un militant écologiste », confie Habib. Micheline Pham, du collectif Vietnam Dioxine, souligne de son côté le décalage entre le vécu des victimes de l’agent orange et la perception réductrice des militants français qui assimilent ce combat à celui contre les pesticides.
Un tabou dans les grandes organisations
Selon Vipulan Puvaneswaran, militant écologiste et antiraciste, les grandes ONG institutionnelles peinent à reconnaître le problème. Le racisme serait perçu comme une question secondaire, loin derrière les urgences climatiques. « Les personnes racisées commencent à dire stop et à prendre leur place », affirme pour sa part Amel Chaâbi, militante au NPA.
Le spectre du « tokenisme »
Plusieurs activistes dénoncent aussi une logique d’instrumentalisation : être mis en avant ponctuellement pour « colorer la photographie », sans réelle prise en compte de leurs luttes. Ce phénomène de tokenisation se retrouve jusque dans des événements majeurs comme la « marche du siècle » de 2019, où la participation d’Assa Traoré avait déclenché une vague de réactions racistes.
Un angle mort de l’écologie dominante
Pour les chercheur·ses comme Renda Belmallem ou Malcom Ferdinand, le racisme dans l’écologie française s’explique par la sociologie particulière d’un mouvement largement blanc et favorisé. Ce biais s’inscrit dans une « histoire coloniale de l’accaparement des savoirs », qui délégitime les voix issues des luttes postcoloniales. « L’écologie politique française opère au sein d’espaces structurés autour de la blanchité », écrit Ferdinand dans son ouvrage Terres et liberté (Les Liens qui Libèrent, 2025).
Vers une remise en question ?
Malgré ce constat, des voix comme celles de Priscillia Ludosky ou de Julie Hamaïde veulent croire à un tournant : « Il y a plein de solutions, à condition que les écologistes soient prêts à les écouter », résume l’ancienne figure des Gilets jaunes, aujourd’hui engagée dans le Collectif des luttes sociales et environnementales.
: Rémi-Kenzo Pagès, « Enquête : agressions, invisibilisations… Le mouvement écologiste n’est pas épargné par le racisme », Vert, 31 août 2025.