Source: Libération
La mission internationale autorisée par l’ONU devrait être déployée dans le pays en fin de semaine, afin d’aider les forces de l’ordre locales à lutter contre les gangs qui terrorisent les habitants et les forcent à fuir leur quartier.
Il aura fallu près de douze mois pour que l’intervention d’une force étrangère capable d’épauler la police haïtienne, débordée par la toute-puissance des groupes criminels, se mette en place. Mardi 25 juin, un premier contingent de 400 hommes partira du Kenya pour se rendre à Port-au-Prince, la capitale contrôlée à plus de 80 % par les gangs qui bloquent les axes routiers et rançonnent la population. La mission africaine est soutenue par l’ONU et les Etats-Unis jouent le rôle de parrain du processus : c’est à Washington, vendredi 21 juin, qu’a été signé l’accord créant la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS).
Le président kényan, William Ruto, en poste depuis 2022, avait proposé fin juillet 2023 la candidature de son pays, après un appel pressant des Nations unies à la solidarité internationale pour se porter au secours du petit pays des Caraïbes, en proie à un cycle de violence depuis l’assassinat de son président, Jovenel Moïse, en juillet 2021. Haïti, alors gouverné par intérim par le Premier ministre Ariel Henry, était d’accord. Et une résolution votée par le Conseil de sécurité de l’ONU, en octobre, avait entériné l’envoi d’un millier de policiers, démarche saluée par Joe Biden, qui promettait une participation financière et logistique des Etats-Unis.
Sous la supervision de la police haïtienne
Mais au Kenya, le déploiement a suscité de vives critiques et la Haute Cour a décrété en janvier sa suspension, les juges estimant que la Constitution obligeait le gouvernement de Ruto à consulter le Parlement avant d’envoyer des troupes à l’étranger. Les autorités ont obtenu cette autorisation le 1er mars, mais un petit parti d’opposition a déposé un nouveau recours pour tenter de bloquer le processus. Dans le pays d’Afrique de l’Est, de nombreuses voix se sont en outre élevées pour critiquer ce projet d’intervention où des Kényans vont risquer leur vie.
On ignore encore quand et comment vont se joindre à la MMAS les autres pays volontaires : la Barbade, les Bahamas, le Bénin, le Tchad et le Bangladesh. Mais le déploiement de la force devrait être une réalité dans les prochains jours. Selon une source policière consultée à Nairobi par l’AFP, «deux équipes préparatoires» sont arrivées la semaine dernière dans les Caraïbes. La supervision de la mission sera confiée à la police haïtienne, a assuré à Port-au-Prince le Conseil présidentiel de transition, qui gère les affaires du pays en attendant qu’une élection présidentielle soit organisée.
Les inquiétudes portent désormais sur le mandat exact de la force de soutien, et sa capacité à respecter les droits humains. Le 28 mai, l’ONG Human Rights Watch (HRW) s’en est émue dans un communiqué. La police kényane est en effet régulièrement accusée d’usage excessif de la force et d’exécutions extrajudiciaires. «Le gouvernement américain a confirmé à Human Rights Watch qu’il soumet tous les membres de la MMAS à une procédure de «vetting» (contrôle), comme l’exige la loi» des Etats-Unis, écrit l’ONG.
600 millions de dollars nécessaires, et loin d’être réunis
HRW s‘interroge aussi sur le financement de l’opération. «Le fonds fiduciaire de la mission a reçu 21 millions de dollars [19,6 millions d’euros], somme bien inférieure aux coûts opérationnels initiaux qui ont été estimés à 600 millions de dollars», déplore l’organisation, qui en appelle à un effort de la communauté internationale : «Les gouvernements, en particulier les Etats-Unis, la France, ainsi que ceux d’Amérique latine et des Caraïbes, devraient veiller à ce que la mission […] dispose des fonds, du personnel et des capacités techniques dont elle a besoin.»
L’affaiblissement de l’Etat, et dans beaucoup de cas son absence, a laissé le champ libre à l’offensive du crime organisé. Le blocage des axes de communication et le racket sur le transport de l’essence et des produits de première nécessité ont aggravé la crise humanitaire, et forcé plus de 600 000 personnes, soit près du quart des habitants de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, à quitter leur domicile vers les provinces limitrophes. La semaine dernière, les Nations unies dressaient un tableau effrayant de la situation. «La crise incessante pousse de plus en plus de personnes à fuir leur maison et à tout laisser derrière elles. […] De plus, pour beaucoup d’entre elles, ce n’est pas la première fois», alertait Philippe Branchat, chef de mission en Haïti pour l’Organisation internationale pour les migrations, une agence onusienne.
Ramener l’ordre dans le pays en sécurisant les routes et les infrastructures est le défi colossal qu’affronte la MMAS. Seul le démantèlement des gangs, dont celui de Pierre Chérizier alias «Barbecue», créera les conditions de la libre circulation des personnes et des marchandises. Et permettra la tenue d’élections générales (législatives, sénatoriales et présidentielle), les derniers scrutins remontant à 2016. La durée de la Mission internationale a été fixée à douze mois.