Eric Le Boucher pour l’Opinion  

02 mai 2021 à 14h00

«  Si la détermination des antivax ne plie pas et si leur nombre ne reflue pas, les gouvernements devront imposer, comme avec le confinement, la santé collective contre la liberté individuelle  »

Aux Etats-Unis, on peut croire la bataille contre le virus en passe d’être gagnée. L’impressionnante logistique mise en place a permis en quatre mois et demi de vacciner 100 millions de personnes (30 % de la population avec deux doses, 44 % avec une première dose). On a tous vu les images des immenses vaccinodromes et vaccinodrives coordonnés par l’US Army. Mais depuis quelques jours, dans certains Etats, le rythme s’effondre, faute de candidats. A Arlington, au Texas, terre républicaine, deux centres ont dû fermer, faute de patients. Le gouvernement s’interroge gravement : comment vacciner le reste des Américains, les hésitants, les sceptiques et les antivax ?

L’Europe, la France n’en sont pas là. Elles sont encore dans la première phase, celle où ce n’est pas le manque de candidats mais le manque de doses qui freine, pénurie d’offre pas de demande. Mais la question se posera aussi, dès cet été. Si l’on veut en finir véritablement avec cette pandémie, il faut atteindre le fameux seuil de « l’immunité collective », autour de 70 % de la population vaccinée (mais sans doute plus si le variant devient très virulent), à partir duquel le virus ne trouve plus assez de victimes pour se reproduire et décline. Comme les frontières sont perméables nonobstant toutes les barrières et que la bête peut se cacher dans une sous-population quelque part puis muter et réattaquer la planète entière, la question est en vérité mondiale : il faudra vacciner dans le monde entier au moins 70 % des 7,7 milliards d’individus sur Terre. Nous en sommes loin.

Défensive. La planète est comme l’Europe mais en pire, en phase 1 de pénurie d’offre. Chaque jour, malgré les 5 à 10 millions de doses administrées mondialement, on compte encore officiellement plus de 800 000 nouveaux cas. Nous en sommes au total à 150 millions de cas recensés et 3,2 millions de morts, chiffres qui sont sûrement très minorés à cause de la défaillance des systèmes statistiques dans de nombreux pays.

«  La bête n’est pas sur le déclin, elle n’est pas morte, elle peut revenir, donc elle reviendra. Pour en finir une bonne fois pour toutes, il faut vacciner tout le monde ou presque  »

La guerre mondiale contre la Covid se mène encore sur la défensive. En particulier en Inde et en Amérique latine, deux régions chaudes qui avaient été relativement épargnées l’an dernier par la première vague mais qui sont touchées maintenant de plein fouet. Ce qui s’y passe laisse craindre que l’Afrique, elle aussi miraculeusement peu atteinte par la première vague, subisse un retour violent du coronavirus dans un proche avenir.

Autrement dit, si les nouvelles sont bonnes en Israël, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis et si elles commencent à le devenir en Europe et en France, où les gouvernements entrouvrent les portes pour redonner un peu de moral à leurs populations, la bête n’est pas sur le déclin, elle n’est pas morte, elle peut revenir, donc elle reviendra. Pour en finir une bonne fois pour toutes, il faut vacciner tout le monde ou presque.

Les antivax ont un premier argument imparable : pourquoi vouloir nous forcer à nous vacciner alors que vous laissez le virus proliférer dans les pays du sud, d’où il reviendra ? La première réponse devrait en effet se porter là. Les pays riches ont commandé 4,5 milliards de doses aux laboratoires, de quoi vacciner, revacciner, et re-revacciner leurs populations (pour une 3e, voire une 4e dose rendue nécessaire par des futurs variants). L’Afrique subsaharienne, en comparaison, ne peut couvrir que 1 % de ses habitants. Les professionnels de la santé y luttent encore contre la pandémie sans protection, au péril de leur vie.

Gordon Brown, ancien premier ministre britannique résume le drame : « Laisser les moins nantis du monde en plan dans la course au vaccin constitue un échec moral catastrophique. C’est également une action autodestructrice. A mesure que le coronavirus se répand et mute à travers des populations non vaccinées, la menace pour la santé publique pour tous et partout s’accroît, y compris dans les pays les plus nantis ».

«  Dès que le nombre de doses disponibles sera suffisant, qu’on sortira de la pénurie, il faudra ouvrir le débat en grand d’une obligation vaccinale. Personne ne sera en sécurité tant que tout le monde ne l’est pas : ce principe est à la fois scientifiquement clair et moralement engageant  »

Des dispositifs ont été mis en place dont le Covax et l’accélérateur ACT mais il manque un financement d’environ 30 milliards de dollars. Le G7 est appelé à les fournir et à aider les pays en développement qui doivent aujourd’hui consacrer plus d’argent à rembourser leurs dettes qu’à leur système de santé.

Obligation ? La deuxième réponse aux anti est nationale. Dès que le nombre de doses disponibles sera suffisant, qu’on sortira de la pénurie, il faudra ouvrir le débat en grand d’une obligation vaccinale. Personne ne sera en sécurité tant que tout le monde ne l’est pas : ce principe est à la fois scientifiquement clair et moralement engageant. Refuser de se faire vacciner par peur (des effets secondaires), par croyance (la foi qui interdirait) ou par volonté de « conserver sa liberté de choix » entretient le péril collectif.

Par crainte de braquer les anti et raffermir leur refus, les gouvernements n’osent pas affronter directement la question de l’obligation. Ils tournent autour. La Suède vient de décider d’infliger une amende à ceux qui renoncent à une dose d’AstraZenecca. En Chine, où le doute de la population semble immense sur la qualité des vaccins chinois, les autorités rurales offrent une boîte d’œufs, ce qui au passage en dit beaucoup sur la réalité des revenus des millions de Chinois les moins bien lotis. Aux Etats-Unis, la récompense par des cadeaux est aussi imaginée. Pour décider les hésitants, des cliniques mobiles seront déployées. Le but est de rendre la vaccination très facile, ainsi beaucoup se laisseront convaincre.

Argument similaire mais un cran au-dessus : en Europe, un certificat de vaccination pourra dispenser les voyageurs du test covid. Il en sera de même pour l’entrée dans des salles de spectacles, voire, demain, des restaurants. Bref, il s’agit de faciliter la vie des vaccinés, à rebours et compliquer celle des non-vaccinés. Dernier cran : aux Etats-Unis, certaines entreprises rendent le certificat de vaccination obligatoire à l’embauche.

Test. Les autorités espèrent par l’ensemble de ces procédés rendre la vie si dure aux résistants qu’un grand nombre acceptera la piqûre et qu’à la fin, le nombre de vaccinés aura augmenté suffisamment pour que l’immunité collective soit obtenue sans qu’il soit besoin de rendre véritablement obligatoire la piqûre. C’est possible mais pas garanti. Ce sera un bon test sur le degré d’irrationalité et d’égoïsme dans les sociétés. Si la détermination des antivax ne plie pas et si leur nombre ne reflue pas, les gouvernements devront imposer, comme avec le confinement, la santé collective contre la liberté individuelle. Les beaux jours reviennent, les lourds conflits aussi.

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