Jean-François Carenco, vous relatez, dans votre ouvrage paru aux éditions du Cerf, votre carrière de préfet. Quelles sont les valeurs qui vous ont porté tout au long de cette carrière ?
Être préfet, c’est aimer la France, aimer la République et aimer les autres. Une autre façon de le dire est de s’accrocher à la devise de la République : Liberté Égalité Fraternité.
Certains diront : tout cela, ce ne sont que des mots, mais je ne le crois pas. Pour ces mots, nos Pères fondateurs de la Révolution française ont combattu et sont morts. À l’occasion de chaque décision, lorsque je servais la cause publique en tant que préfet jadis, en tant que ministre maintenant, la question est toujours la même : qu’est-ce qui est meilleur pour les autres, pour mon pays ?
Bien sûr, un préfet obéit au Gouvernement et il doit le faire avec détermination, conviction et hauteur pour rassembler toujours pour le bien du plus grand nombre. Ceux qui s’opposent à ces principes rejetteront toujours nos décisions. Mais attention, dans l’exercice de ce principe, dans le service de la République et de la France, il faut toujours résister à la tentation du nationalisme qui est une vision à combattre : ce n’est pas cela aimer la France.
En tout cas, une des valeurs qui m’anime encore aujourd’hui, c’est croire que l’on peut changer les choses et qu’il faut croire à sa capacité d’action.
Quelles sont les principales épreuves que l’on peut rencontrer dans cette fonction ?
L’épreuve la plus difficile, c’est la rencontre avec la mort, les drames humains, la détresse. Les scènes où l’on se rend, en urgence, la nuit, dans un état de tension et d’inquiétude pour les blessés et les tués, pour constater et coordonner une réponse d’urgence, souvent laissant de côté sa propre souffrance.
La deuxième épreuve, c’est la menace, la menace physique, violente qui peut être dirigée contre vous, mais aussi contre votre famille. Oui, il est difficile d’être menacé de mort, de devoir être protégé. Oui il est très difficile de savoir sa famille menacée. Certes, il s’agit là de situations qui ne se présentent pas pour tous les préfets. C’est contextuel et vous n’êtes jamais bien prêt pour cela.
La troisième épreuve, c’est l’échec, non pas qu’il puisse vous être reproché, mais l’échec de vos convictions, ne pas réussir à traduire les actions dont vous êtes persuadé qu’elles vont changer ou améliorer la vie des gens, de ceux qui souffrent, de ceux qui pourraient réussir davantage et être plus heureux, des entreprises, des infrastructures, des artistes, des travailleurs. L’échec de votre démarche, ne pas réussir à défendre l’intérêt public pour construire un monde meilleur.
La fonction de préfet reste-t-elle aujourd’hui primordiale pour notre république et pourquoi ?
Rappelons d’abord la phrase de Lucien Bonaparte, ministre de l’Intérieur de Napoléon qui le jour où il créa la fonction de préfet déclara : « De ce jour naîtra le bonheur des peuples ».
C’est un peu exagéré, mais je crois toujours que la fonction de préfet est primordiale pour notre République, tout d’abord parce que, comme le Président de la République pour tout le pays, il représente, pour un morceau de la France, la nation, il personnifie et incarne l’État et la Nation.
Ensuite, le préfet dirige les services de l’État. Imaginez un peu la pagaille que ce serait si quelqu’un n’était pas là pour coordonner, décliner au plus près des villes et des villages les politiques de la nation, pour faire appliquer le droit et les politiques du gouvernement. Et c’est encore plus vrai dans les territoires d’outre-mer, le Préfet représentant tous les ministres pour créer un lien et une proximité, pour faire avancer la réalisation des projets, aux côtés des élus, des acteurs économiques et autres forces vives. Aussi, il est là pour gérer les crises et fait en sorte que les services, sous ses ordres, coordonnent les réponses d’urgence. Incendies, crise sanitaire, terrorisme, accidents divers, il doit tout affronter. À chaque fois le préfet est le premier à déployer les forces d’impact immédiat pour traiter l’urgence. La population lui fait confiance, compte sur lui.
Je rappelle que les préfets obéissent au gouvernement issu de la démocratie représentative, et que toutes leurs décisions sont maintenant contestables devant les juridictions administratives absolument indépendantes.
Le corps préfectoral, que j’ai vu évoluer depuis toutes ces années d’exercice, évoluera encore, le Président de la République souhaitant de la modernité et une action en accord avec son temps, cohérente et à l’écoute des changements, une action respectueuse toujours du droit et des valeurs non négociables de la République mais tournée vers l’avenir.
Je suis jeune ministre, mais vieux préfet, je suis et je serai fier jusqu’à ma mort de la chance que j’ai eu de porter l’uniforme, de saluer le drapeau, de servir ma belle France, d’aider les autres, et surtout d’avoir eu l’opportunité de le faire dans le Pacifique, l’Atlantique et l’océan Indien pour exercer au plus près de mes compatriotes ultramarins, qui m’ont tant appris, tant donné et qui m’ont ébloui avec leurs valeurs, leur richesse, leur culture, leurs traditions et les valeurs de transmission si sacrées. Quelle chance pour la France !
Avez-vous des pistes à nous proposer pour réinventer ou dynamiser notre vivre ensemble en France et en démocratie ?
L’avenir, aujourd’hui en tant que ministre, après toutes ces années en tant que préfet, je souhaite le meilleur avec des changements forts, mais cela passe avant tout par la confiance en l’action de la France, en la solidité de ses principes de solidarité, d’énergie et de délicatesse. Une justice sociale plus ouverte, un développement économique plus respectueux de l’écologie, un avenir où l’ordre et la liberté doivent se conjuguer de concert pour avancer dans le chemin de la République. Je pense qu’il faut penser des actions en grand, des réformes en grand, dans l’Hexagone, mais j’ai une pensée particulière pour mon « archipel France », les îles et la Guyane qui scintillent de leur beauté, de leur richesse et de l’importance de nos océans.
C’est dans toute la France et dans toute l’Europe qu’il faut reformer en profondeur, promouvoir la paix, le multilatéralisme, les échanges entre les peuples, le respect de toutes les cultures. Il me semble que c’est un espoir que permet la République, vivre ensemble, avancer ensemble, construire ensemble et c’est en partie le rôle du Préfet, celui d’incarner cette République qui devrait inspirer les enfants comme un symbole d’espoir et d’unité.