Combien de temps faudra-t-il attendre pour que les élus acceptent la réalité arithmétique de l’Assemblée et négocient un budget capable de déjouer une censure ?
Le président a pris le risque de nommer à Matignon un Premier ministre perçu comme son double. Sébastien Lecornu devient ainsi la cible idéale de ceux qui rêvent d’une démission anticipée du chef de l’État pour rapprocher l’élection présidentielle. Ce choix a par ailleurs galvanisé un mouvement social renforcé : la mobilisation intersyndicale du 18 septembre a connu un réel succès, ajoutant une crise sociale à la crise parlementaire et budgétaire.
Un « formateur » à la française
Sébastien Lecornu a reçu mission de « consulter » les groupes parlementaires avant de former son gouvernement. Une démarche inédite sous la Ve République, proche du rôle de « formateur » en Belgique.
Pour obtenir une majorité pour voter les lois, à commencer par le budget suppose une coalition plus large que le fragile attelage actuel – Ensemble, Les Démocrates, Horizons et une partie des Républicains. Le Parti socialiste, émancipé de La France insoumise, pourrait devenir un partenaire clé, même au prix d’une abstention constructive plutôt que d’une participation pleine.
Le mythe du retour au « fait majoritaire »
En réalité, ce scénario de coalition reste improbable. À six mois des municipales et vingt mois de la présidentielle, chaque parti préfère attendre. Tous spéculent sur un retour miraculeux au vieux modèle de la Ve République : une large majorité issue de la présidentielle, validée dans la foulée par les législatives.
Mais 2022 et 2024 ont montré que ce schéma est désormais caduc. Le scrutin majoritaire uninominal, conçu pour dégager des majorités claires, produit aujourd’hui une assemblée éclatée et quasi proportionnelle. Le maintien de ce système entretient pourtant l’illusion d’un futur « retour à l’ordre », illusion qui bloque la recherche urgente de compromis transpartisans.
Une équation budgétaire insoluble
La tâche budgétaire de Lecornu s’annonce tout aussi herculéenne. Stabiliser la dette publique suppose un effort de 120 milliards d’euros, soit trois fois le plan d’économies proposé par François Bayrou.
La gauche mise sur de nouveaux impôts, rappelant que les gouvernements depuis 2017 ont baissé les prélèvements de 63 milliards. Mais même les formules fiscales les plus audacieuses ne rapporteraient que 15 milliards par an, soit à peine 12 % de l’effort requis.
La droite parie sur la réduction des dépenses publiques. Or, la suppression de 150 000 postes de fonctionnaires, telle qu’envisagée par Valérie Pécresse, ne rapporterait que 6 milliards. Même en doublant ce chiffre, on n’atteindrait que 10 % de l’objectif. Quant aux économies symboliques sur le « train de vie de l’État », elles ne dépasseraient pas quelques dizaines de millions.
Aucune de ces solutions n’est donc à la hauteur. Et un ajustement trop brutal plongerait l’économie dans une récession, aggravant encore les tensions sociales.
Retour à la case départ
La seule voie réaliste serait une trajectoire budgétaire progressive, crédible aux yeux de Bruxelles comme des marchés, et portée par un geste politique fédérateur. Mais un tel projet suppose un gouvernement stable, capable de durer au moins deux ou trois ans. Dans la configuration actuelle, cet horizon paraît improbable.
Faute de majorité stable, la France devra se contenter d’expédients et de demi-mesures. Combien de temps ce bricolage pourra-t-il durer ? Déjà, le spectacle de l’impuissance politique mine la crédibilité internationale du pays. Et l’attente jusqu’à 2027, dans ces conditions, risque d’être très longue.
Jean-Paul Blois