Si certaines théories en vogue sont bancales, idéologiques ou carrément farfelues, d’autres se basent sur des études scientifiques, sur la génétique ou encore sur des statistiques à grande échelle.

Moi aussi, à l'adolescence, quand j'ai découvert que je ne pensais pas à la même chose que les autres pendant les premières branlettes, j'ai cru que ce serait plus facile d'être hétéro. Et comme beaucoup de gays, je me suis demandé si je pouvais le devenir. | Alexander Grey via Pexels
Moi aussi, à l’adolescence, quand j’ai découvert que je ne pensais pas à la même chose que les autres pendant les premières branlettes, j’ai cru que ce serait plus facile d’être hétéro. Et comme beaucoup de gays, je me suis demandé si je pouvais le devenir. | Alexander Grey via Pexels

«Pourquoi suis-je gay?» Tout semble ramener le journaliste Mathias Chaillot à cette question qu’il aurait préféré ne pas se poser, de ses premiers désirs inavouables à son coming out éprouvant, en passant par les agressions haineuses. Il s’est donc lancé dans une grande enquête scientifique et intime au cours de laquelle une évidence s’est imposée: il n’y a rien de plus queer que la nature. Dans 4% en théorie…, paru le 20 octobre 2023 aux éditions Goutte d’or, Mathias Chaillot plonge dans les travaux menés par des chercheurs, souvent eux-mêmes homosexuels, pour tenter de percer le mystère de leur propre orientation. Nous publions ici un extrait de l’introduction et un autre du premier chapitre.


Pourquoi, depuis mon enfance, mon cœur palpite-t-il à la vue de certains garçons? Pourquoi, à l’adolescence, tant de mecs m’ont-ils pris en grippe? Pourquoi, à la veille de mes 18 ans, mes parents m’ont-ils demandé: «On a raté quelque chose?» Pourquoi, depuis deux siècles, la question de l’origine de l’homosexualité obsède-t-elle nombre de religieux, de politiques, de psychiatres ou de chercheurs? Pourquoi un tel enjeu? Et moi dans tout ça, pourquoi suis-je homo?

Aujourd’hui, quand je demande à mes potes leur point de vue sur l’origine de leur homosexualité, ils me parlent fluidité, choix, adaptation, contrainte hétéronormative, absence de père, vascularisation utérine, hormones libérées par un frère jumeau. Ils disent «C’est évident», «Je ne veux pas savoir», «L’œuf ou la poule», ou «Se poser la question du pourquoi est déjà problématique». Nous avons presque tous une idée sur le sujet, même lorsque nous affirmons nous moquer de la réponse.

Dans les années 1960, Frank Kameny, astronome et militant homo, s’insurgeait contre le fait même de se questionner: «Je n’ai jamais entendu un seul cas d’hétérosexuel, quel que soit le problème auquel il pouvait être confronté, s’enquérant de la nature et des origines de l’hétérosexualité, ou demandant pourquoi il était hétérosexuel, ou considérant ces questions comme importantes. Je ne vois pas pourquoi nous devrions faire une enquête similaire en ce qui concerne l’homosexualité ou considérer les réponses à ces questions comme étant d’une quelconque importance pour nous.»

Kameny a raison… en théorie. En pratique, les corps et les esprits des hommes homosexuels ont toujours été interrogés, scrutés et même disséqués. Aujourd’hui encore, jusque dans nos gènes.

En tant que journaliste, j’ai découvert que nombre de personnes ont tenté, et tentent encore, de trouver l’origine de l’homosexualité. Or, si certaines théories en vogue sont bancales, idéologiques ou carrément farfelues, d’autres se basent sur des études scientifiques, sur la génétique ou encore sur des statistiques à grande échelle.

Qui connaît la théorie selon laquelle la présence d’homosexuels au sein de notre espèce présente un avantage évolutif pour celle-ci? Qui a déjà entendu parler de «l’effet grand frère», qui fait que chacun de vos aînés biologiques augmente statistiquement d’un tiers vos chances d’être gay? Vous allez découvrir dans ce livre qu’il existe une sorte de grande quête des origines de «l’orientation sexuelle» des hommes qui aiment les hommes.

[…]

Le jour où j’aurais aimé savoir

— Mathias? Tu peux venir? On voudrait te parler.
Ce soir d’avril, mes parents posent les mots d’une voix éraillée. «J’ai ouvert ton tiroir et j’ai trouvé… Tu sais.» Puis ils attendent. Ma mère a vu un magazine Têtu et «le ciel lui est tombé sur la tête». Ils espèrent sans doute un retournement de situation, l’info qui leur permettrait d’exploser de rire, «Ah ah, c’est simplement ça, dire qu’on avait cru que tu étais homo». Mais il n’y a pas de twist final. Je fonds en larmes. J’aime les hommes.
— Mais c’est sûr, c’est définitif?
J’étouffe un sanglot, reprends ma respiration, pèse mes mots. Ne pas faillir, pas maintenant, assumer, mais les préserver, un peu.
— C’est sûr qu’actuellement, oui. Mais ce n’est peut-être qu’une passade, je ne peux pas vous dire ce qu’il en sera dans cinq ans. Je sais pas, moi.
— On a fait quelque chose? On a raté quelque chose?
— Non maman, tu n’as rien raté. Vous n’y êtes pour rien.

Mes parents n’ont à ce moment-là aucune idée de ce qu’est l’homosexualité, de ce qu’elle est socialement, politiquement, historiquement, culturellement. Des homos, ils n’en «connaissent pas». N’en ont jamais vu. À part Ruquier, Sevran, peut-être Steevy, et le traditionnel reportage de fin juin sur la Marche des fiertés. Je ne sais d’ailleurs pas moi-même ce que c’est à cette époque. En réalité, je ne cherche pas encore à comprendre le «pourquoi».

Dans mon cas, les questions sont plutôt apparues dans cet ordre: est-ce une passade normale de l’adolescence? Alors, ça veut dire que je suis bi? Mais est-ce que les filles m’attirent? Alors, ça veut dire que je suis homo? Comment vais-je le dire autour de moi? Est-ce que mes proches m’aimeront toujours? Est-ce que je pourrai être heureux?

La brochure invite les parents à ne plus se poser la question qui pourrait retarder l’acceptation. Pourtant, autour de la table de la cuisine, j’aurais aimé pouvoir apporter des réponses.

Un soir, en faisant chauffer le modem sur l’ordi familial du salon, prenant bien soin d’effacer l’historique dans la foulée, j’ai exploré le site de Contact, une asso de proches d’enfants LGBTQIA+. Sur leur brochure à destination des parents, j’ai trouvé ce que je cherchais. Je me souviens l’avoir imprimé, ce document orange qui explique que oui, tout est normal, puis l’avoir soigneusement rangé, sous le Têtu justement, en prévision du jour J. À chaque question, la même réponse: normal.

Vingt ans plus tard, la brochure a été mise à jour, mais le fond reste le même. Est-ce une maladie? Non. Est-ce un choix? «On ne choisit ni son orientation sexuelle ni son identité de genre.» Est-ce de ma faute? «L’orientation sexuelle et l’identité de genre ne sont jamais la faute de quelqu’un. Les parents envisagent rarement l’homosexualité, la bisexualité ou la transidentité pour leur enfant. Lorsqu’ils y sont confrontés, désemparés, ils cherchent des explications. […] Nous, parents de Contact, sommes nombreux à avoir ressenti cette culpabilité, et pouvons confirmer qu’elle est infondée.»«Mon enfant a-t-il été influencé?» «Certains parents pensent que l’orientation sexuelle et l’identité de genre de leur enfant ont été influencées par quelqu’un d’autre. C’est faux, elles ne relèvent ni d’une préférence personnelle ni d’une influence.» Vous voyez, on vous le répète: tout-est-nor-mal.

Seulement, si la brochure nous dit bien tout ce que n’est pas l’homosexualité, elle a du mal à définir ce que c’est. Pour une raison toute bête et assumée, expliquée à la question numéro 1: «Quelles sont les origines de l’homosexualité?» Eh bien, figurez-vous, «on l’ignore totalement». La brochure invite les parents à ne plus se poser la question qui pourrait retarder l’acceptation.

Pourtant, autour de la table de la cuisine, j’aurais aimé pouvoir apporter des réponses. Ma mère pleure, mon père est hagard, les anges passent et la boule dans mon ventre grossit. Je viens de planter un couteau dans trois cœurs. Le leur, mais surtout le mien: j’ai tué l’enfant qu’ils croyaient avoir. Eux aussi devront faire un deuil et accepter l’arrivée d’un nouveau membre, en partie flou et inconnu, dans la famille. Alors je vais chercher le document au fond du tiroir. Je redescends, leur tends les quelques feuilles A4 imprimées. Maman, regarde, c’est écrit ici, noir sur orange, ce n’est pas mon éducation, ce n’est pas vous!

C’est comme ça, c’est la nature: c’est ce que j’ai dit ensuite pendant des années, et c’est ce que mes parents répètent aujourd’hui à l’envi. Parce que je le leur ai affirmé, parce que je les en ai convaincus, parce que je voulais en être convaincu. Parce que voir leur chagrin était trop lourd pour moi, que je voulais l’éteindre, au moins leur enlever le poids de la culpabilité.

Et si pendant un temps, ma mère a pensé que quelqu’un ou quelque chose était la cause de mon homosexualité, elle a aussi espéré que je pourrais «revenir en arrière». Moi aussi, à l’adolescence, quand j’ai découvert que je ne pensais pas à la même chose que les autres pendant les premières branlettes, j’ai cru que ce serait plus facile d’être hétéro. Et comme beaucoup de gays, je me suis demandé si je pouvais le devenir.

Aujourd’hui, plus personne ne me demande pourquoi je suis homo et ceux qui oseraient poser la question à mes parents se verraient rembarrer par un «C’est comme ça», asséné avec fierté. «Born this way», chante Lady Gaga. Pourtant, la brochure de Contact va un peu vite en besogne quand elle dit qu’«on ne sait pas». Et si cette question du pourquoi ne m’angoisse pas ni ne m’obsède, elle ne m’a jamais quitté. Comme un petit mystère qui m’a suivi au fil des années.

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