Formulée en 2013 par l’informaticien italien Alberto Brandolini, la « loi du baratin » affirme que l’énergie nécessaire pour réfuter une absurdité est bien supérieure à celle qu’il faut pour la produire. Si elle a d’abord circulé dans les milieux numériques pour dénoncer la prolifération des fake news, cette loi trouve en Martinique un terrain d’observation frappant : la vitesse de propagation des rumeurs contraste avec la lenteur des explications factuelles nécessaires à leur effacement.
Chlordécone : des décennies pour démentir quelques phrases rassurantes
Pendant des années, responsables politiques,administratifs et le monde agricole ont minimisé les risques liés au chlordécone, ce pesticide utilisé massivement dans les bananeraies. Quelques déclarations rassurantes suffisaient à calmer l’opinion. Mais il a fallu des décennies de recherches scientifiques, de rapports parlementaires et d’enquêtes judiciaires pour établir l’ampleur du désastre sanitaire et environnemental. La réfutation d’un discours initialement simple a mobilisé une énergie scientifique et citoyenne considérable. Combien de temps faudra-t-il encore pour faire comprendre à la population que les mesures du plan Chlordécone sont aptes à renverser sinon à améliorer la situation, notamment sur le plan de la santé physique par une nourriture appropriée.
La vie chère : l’explication facile contre l’analyse complexe
« Les prix sont élevés uniquement à cause du coût du transport », ou encore du «aux marges exorbitantes de la grande distribution », sans omettre «l’octroi de mer» : les arguments sont avancés alternativement pour justifier la cherté de la vie en Martinique. Pourtant, les études révèlent une réalité plus complexe . Ici encore, une explication simpliste écrase le débat, quand il faut des enquêtes chiffrées et de la pédagogie pour redonner sa juste mesure au problème.
Les slogans contre la complexité du droit
Dans les débats sur l’avenir institutionnel, la loi de Brandolini se vérifie tout autant. Un slogan – « l’indépendance, c’est la ruine » ou au contraire « l’indépendance, c’est la prospérité » – circule et marque les esprits. Tout aussi bien, que «l’autonomie c’est l’antichambre de l’indépendance». Déconstruire ces affirmations exige de revenir sur le droit constitutionnel (articles 73 et 74), les transferts publics, la coopération régionale et les précédents référendaires. Ce qui se dit en une phrase nécessite des centaines de pages d’expertise, de rappels historiques pour être remis en perspective.
Réseaux sociaux : un terrain fertile pour le baratin
Sur Facebook ou WhatsApp, il suffit d’un message viral pour affirmer que « la CTM reçoit des milliards d’euros et ne fait rien ». Démontrer le contraire implique d’ouvrir les budgets, d’expliquer les contraintes d’exécution, de distinguer crédits engagés et crédits réellement dépensés. Là encore, la balance est inégale : deux clics suffisent pour semer le doute, des heures d’explications pour rétablir les faits à leur juste mesure.
Un enjeu démocratique
En Martinique, la loi de Brandolini ne relève pas seulement d’une curiosité théorique. Elle explique pourquoi les débats publics sont si souvent parasités, pourquoi la confiance s’érode et pourquoi les citoyens peinent à démêler l’essentiel de l’accessoire. Face à cette asymétrie, un seul antidote : la vigilance critique, l’éducation aux médias et le refus de se contenter de slogans faciles.
À nos lecteurs qui ont déjà saisi toutes les implications de la réforme institutionnelle, nous présentons nos excuses : il faut expliquer, réexpliquer, et revenir sans cesse sur des points maintes fois abordés.
Gérard Dorwling-Carter