La Martinique ne peut plus se contenter d’attendre les transferts publics venus de Paris ou de Bruxelles. Si elle veut sortir de sa dépendance économique et offrir à sa jeunesse des perspectives crédibles, elle doit investir un terrain en pleine expansion : la fintech, ces technologies financières qui révolutionnent paiements, épargne et financement.
Une opportunité à portée de main
Dans le monde, le secteur attire plus de 100 milliards de dollars d’investissements par an. Dans la Caraïbe, les premières solutions émergent déjà : transferts de fonds numériques, inclusion bancaire, finance verte. Les Bahamas ont créé dès 2020 la première monnaie numérique nationale au monde, le Sand Dollar. La Jamaïque développe ses plateformes de paiement, la Barbade mise sur ses incubateurs fintech. Si nos voisins avancent, pourquoi pas nous ?
La Martinique possède des atouts indéniables.
Elle est une région ultrapériphérique (RUP) de l’Union européenne : cela signifie qu’elle bénéficie du cadre juridique et réglementaire européen (DSP2, RGPD, bientôt MiCA sur les crypto-actifs), gage de sécurité et de confiance. Sa position géostratégique, à la croisée de l’Europe, de l’Amérique et de la Caraïbe, en fait une passerelle naturelle pour les flux financiers régionaux.
Miser sur la finance durable
Mais surtout, la Martinique peut jouer une carte singulière : celle de la finance verte. Les besoins sont immenses : transition énergétique, microcrédits pour les énergies renouvelables, financements climatiques, adaptation aux risques cycloniques. Un “Green Fintech Lab” dédié à ces enjeux placerait l’île à l’avant-garde d’un secteur d’avenir, en phase avec les priorités mondiales et caribéennes.
La diaspora caribéenne et martiniquaise représente aussi un marché naturel. Chaque année, des millions d’euros transitent via Western Union ou MoneyGram. Pourquoi ne pas développer des solutions régionales, moins coûteuses et plus rapides, qui capteraient ces flux au profit de l’économie locale ?
Lever les blocages
Certes, le chemin est semé d’embûches. Nos infrastructures numériques restent fragiles : la fibre, la 5G et le cloud souverain doivent être renforcés, tandis que le coût de l’accès internet demeure prohibitif. La fracture numérique, qui touche encore une partie de la population, risque d’exclure les plus vulnérables si rien n’est fait.
Autre défi : les compétences. Il faut former des ingénieurs et des spécialistes en cybersécurité, blockchain et data science. L’Université des Antilles peut devenir un pivot stratégique, à condition de disposer de moyens adaptés et de partenariats solides. Enfin, le cadre bancaire et fiscal français, souvent conçu sans tenir compte des réalités caribéennes, doit s’adapter pour faciliter les paiements transfrontaliers.
Une stratégie pour 2030
Il ne s’agit pas d’un rêve abstrait. Dès aujourd’hui, un plan “Fintech Martinique 2030” pourrait être lancé avec trois priorités :
1. Créer un pôle fintech caribéen adossé à l’Université.
2. Développer une place financière numérique spécialisée dans la finance durable.
3. Organiser chaque année un Sommet fintech caribéen à Fort-de-France.
L’objectif ? D’ici 2030, disposer de cinquante startups actives, de deux mille emplois directs et d’une expertise affirmée en finance climatique.
Le courage politique comme condition
Reste une question : aurons-nous le courage politique de transformer cette ambition en stratégie ? Les discours ne suffiront pas. Ce projet exige une mobilisation conjointe des institutions, des entreprises et de la société civile. Car la prospérité numérique ne se décrète pas : elle se construit pas à pas, sur l’innovation, la confiance et l’ouverture.
La Martinique a une carte à jouer dans le concert caribéen. À condition de la jouer maintenant.
Jean-Paul BLOIS