C’est une vieille affaire qui ressurgit au plus mauvais moment pour Serge Letchimy, l’ancien président de la Collectivité territoriale de Martinique. Alors que les élus se réunissent avec ferveur pour débattre de l’avenir institutionnel de l’île, le dirigeant du Parti progressiste martiniquais apprend qu’il est renvoyé en correctionnelle, aux côtés du maire de Fort-de-France, Didier Laguerre, et de son premier adjoint, Yvon Pacquit.
Les trois hommes devront comparaître les 17, 19 et 20 novembre prochains. Le Parquet national financier leur reproche d’avoir, en 2016, mis en place un montage administratif ayant permis à Serge Letchimy de percevoir plus de 200 000 euros d’argent public : salaires, prime de départ et pension sur trois ans.
L’affaire trouve son origine en décembre 2015, après la défaite de Letchimy aux élections territoriales face à Alfred Marie-Jeanne. Redevenu simple administré, il demande alors au maire de Fort-de-France — un proche — sa réintégration dans la fonction publique territoriale.
Juridiquement, il en avait le droit : il n’était plus député depuis 2010, ayant quitté le Parlement pour présider la Région, puis la Collectivité territoriale de Martinique. En clair : rien n’interdisait sa réintégration. Mais trois mois plus tard, il demande sa mise à la retraite… et la perçoit.
Résultat : 34 610 euros de salaires, 67 552 euros de prime de départ, et près de 98 000 euros de pension entre 2016 et 2019. C’est ce que la presse – le canard enchaîné – a ironiquement appelé une “retraite dorée”.
Sauf que la Chambre régionale des comptes Antilles-Guyane, dans un rapport publié en 2020, a conclu à l’irrégularité du dispositif : selon elle, l’emploi occupé n’aurait pas eu de réalité fonctionnelle — autrement dit, pas de travail effectif justifiant ce versement. Le dossier a ensuite été transmis au Parquet national financier, qui a ouvert une enquête et ordonné le renvoi en correctionnelle.
Sur le fond, la question juridique est subtile : Serge Letchimy pouvait être réintégré, mais à la condition d’occuper un emploi réel et vacant, conformément au Code général de la fonction publique. Pour être régulière, une réintégration suppose une activité effective avant toute liquidation de pension. Une reprise d’activité trop brève ou de pure convenance peut être assimilée à un emploi fictif.
C’est donc sur ce terrain que se jouera le procès : non pas sur le droit à réintégration, mais sur la sincérité de la démarche et la finalité des sommes perçues. Les juges devront dire s’il s’agissait d’une opération administrative légale, ou d’une manœuvre de complaisance au profit d’un responsable politique. La Martinique, en pleine réflexion sur son autonomie institutionnelle, se serait bien passée d’un tel épisode.
En attendant le jugement, les trois mis en cause gardent le silence. Mais l’opinion, elle, s’interroge…
Jean-Paul BLOIS