Le jeudi 2 février 2023, le drapeau rouge vert noir a été adopté à l’unanimité à l’assemblée de Martinique. Serge Letchimy parle d’une journée mémorable : « Par cet acte collectif majeur […] nous venons de distinguer notre époque et de marquer notre histoire. Nous vivons un moment historique de prise de conscience, de dépassement et d’unité du peuple Martiniquais » nous dit-il. In Le Progressiste

En règle générale, un drapeau s’appuie sur une histoire de lutte ou de gloire plus ou moins mythique, s’ancrant dans la mémoire collective d’un peuple. Notre drapeau ne fait pas exception. Si la forme n’a pas toujours fait l’unanimité, les couleurs et leurs symboliques ont toujours entraîné l’adhésion d’un grand nombre de Martiniquais, et il est important de comprendre pourquoi.

Bien plus qu’un drapeau politique, notre drapeau est un drapeau historique, qui exprime les siècles de lutte de notre peuple pour sa liberté et sa dignité. Il est un véritable hommage aux générations qui nous ont précédé, et qui ont donné leur vie pour le respect de nos droits, et plus largement des droits humains. Il symbolise le cœur des Martiniquais, un cœur blessé et meurtri par des siècles d’infériorisation, mais un cœur vaillant, rempli d’espoir et d’ouverture. Il met en avant notre histoire, notre culture et notre identité, et nous permet ainsi de faire un pas de plus vers la réappropriation de nous- même. L’heure de nous-même a sonné nous disait Aimé Césaire. Il était tant de légitimer ce symbole fort qui a toujours démontré « que la négraille assise est debout et libre, […] et s’avance impavide sur les eaux écroulées ». Il est un symbole de conscience, celle de notre pouvoir, de notre droit à l’égalité dans la différence, car comme le soulignait le président de la collectivité dans son discours, le drapeau « rappellera que l’égalité n’est pas l’ennemi du droit à la différence ». Il est aussi un symbole de liberté et de fraternité, car il signifie le refus de l’asservissement de l’homme par l’homme « Mais moi l’homme de couleur, je ne veux qu’une chose : que jamais l’instrument ne domine l’homme. Que cesse à jamais l’asservissement de l’homme par l’homme ». Finalement que voulait démontrer nos ancêtres en arborant ce drapeau sous diverses formes, c’est que « les hommes peuvent créer les conditions idéales d’un monde humain » ce à quoi nous exhortait Frantz Fanon.

Retour sur les couleurs du drapeau

Notre emblème est paré de la couleur rouge qui représente la révolution, le sang versé, les souffrances, mais aussi le progrès, l’idéal socialiste dans ses prémisses, empreint de valeurs d’égalité, considérant l’homme avant le capital.

Le vert met en avant la classe paysanne, mais aussi notre rapport respectueux à la terre, un rapport dont parlait déjà Suzanne Césaire en 1942 dans la revue Tropiques. Le Martiniquais c’est « l’homme plante », « Point d’efforts pour dominer la nature. Médiocre agriculteur peut- être. Je dis qu’il pousse, qu’il vit en plante (…) opiniâtre d’ailleurs comme seule la plante sait l’être. Indépendant (Indépendance, autonomie de la plante) ». La plante c’est donc un symbole de l’histoire du Martiniquais, un symbole de sa résistance, de son amour pour la terre, de sa communion avec elle, de sa passion pour tout ce qui pousse et qui repousse, même dans les sols les plus arides. Le Martiniquais c’est celui qui renaît « La plante piétinée mais vivace, morte, mais renaissante, la plante libre, silencieuse et fière ».

Enfin, le noir, qui représente le peuple noir. C’est une affirmation de la beauté, de la créativité, de l’intelligence noire, si souvent niée par l’entreprise colonialiste. Enfin, du droit de vie car c’est de cela dont il s’agit, de pouvoir vivre libre, affranchi de tout interdit, de toute peur, de tout agenouillement, de tout complexe d’infériorité, et prêt à se conquérir soi pour mieux conquérir le monde. Nous ne sommes point déterminés à rester à la dernière place.

« Et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’a fixée notre volonté seule, et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite », Aimé Césaire.

Un symbole historique

Il est important de connaître d’où l’on vient pour savoir ce qui nous détermine, ce qui fait qui nous sommes, ce qui nous pousse à agir, et où l’on va. Méconnaître notre histoire empêche de saisir les spécificités de notre société, et les défis que nous avons à relever. Ce drapeau est un condensé de notre vécu, et il a eu, a, et aura une fonction, celle d’éclairer les générations à venir sur leur passé et leur devenir, celle d’alerter pour que jamais nous ne perdions nos acquis. Serge Letchimy l’affirme, « Ce drapeau, cet hymne, ces symboles sont des actes politiques majeurs que nous léguons à notre prospérité ». Cette prospérité aura une tâche, celle de reprendre le flambeau, et de garder notre pays natal debout et libre face à l’obscurantisme qui ne cesse de revenir à la charge. La Martinique devra rester un des remparts de la lutte pour les droits de l’homme.

Le drapeau rouge vert noir, un fidèle accompagnateur de nos luttes pour les droits de l’homme

Le drapeau était présent sous diverses formes dans toutes nos grandes luttes au XXe siècle. Dès 1958, le Parti progressiste martiniquais arbore un balisier rouge sur fond vert. En 1967, lors du IIIème congres du PPM, Rodolphe Désiré fait un rapport sur l’existence de la nation martiniquaise. Le PPM prend acte, et conçoit l’emblème. En 1970, lors du IVème congres le balisier sur fond vert et noir est adopté par le parti. Cet emblème figurera sur le drapeau rouge/vert/noir durant les années 70 en ce qui concerne le PPM.

En 1963, durant l’affaire de l’OJAM, il apparaît disposé en trois bandes verticales à l’initiative de Victor Lessort. Dans les divers mouvements autonomistes et indépendantistes, il est également régulièrement représenté.

En 1974, lors de la venue du président Valérie Giscard d’Estaing, le drapeau est déployé devant la mairie de Fort-de-France.
Le 22 mai 1997, 77 personnes dont des écrivains historiens et artistes signent et publient un texte intitulé « Rouge Vert Noir Trois couleurs pour un drapeau ». Parmi eux Edouard Glissant, Jean Bernabe, Christian Baselto, Patrick Chamoiseau, Camille Chauvet, Roland Laouchez, Victor Permal.

Le drapeau a accompagné la dépouille de Marcel Manville, mais aussi celle d’Aimé Césaire lors de ses funérailles.

Là encore, loin de voir ce drapeau comme le symbole d’une scission, il faudrait y voir un cri. Le cri de tout un peuple pour dire non à l’oppression esclavagiste puis coloniale. Un cri contre l’injustice, mais aussi et surtout pour la liberté d’agir et de pensée pour chacun d’entre nous, affranchi des préjugés racistes.

Ce symbole rappelle aussi la continuité historique de notre peuple et de sa conscience, affirme notre droit, et même notre devoir d’en assurer le devenir sans nationalisme archaïque, sans esprit communautariste, sans violence, sans racisme, sans haine envers quiconque, sans exclusion de ceux qui ont fait le choix de partager le destin de notre pays. » Serge Letchimy

Ce drapeau marque aussi une volonté, celle d’aller à la rencontre de l’autre après un mouvement de retour sur soi indispensable, car nous n’avons pas le droit de nous perdre dans des particularismes conduisant à user de la violence.

Mathieu Cordemy

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