Il n’existe pas de modèle économique « antillais » : il existe des règles économiques universelles, et des choix à assumer.
Cette tribune est celle d’un lecteur assidu d’Antilla, attentif aux débats économiques et aux discours qui traversent la Martinique. Il a souhaité prendre la parole pour interroger une idée largement répandue dans le débat public : l’existence d’un supposé « modèle économique antillais » qui expliquerait, à lui seul, les difficultés du territoire. Nous publierons sa contribution sous le nom de Franck A., afin de laisser toute sa place au fond du propos, sans personnalisation ni posture, dans l’esprit d’un débat éclairé et exigeant.
Philippe PIED
Depuis trop longtemps, certains se complaisent à croire — ou à faire croire — qu’il existerait un « modèle économique antillais » spécifique qui expliquerait à lui seul les difficultés économiques de la Martinique. Ce mythe est non seulement faux, mais profondément nocif pour le débat public et notre développement.
Il n’existe pas de modèle économique « pour nous, Antillais ». La Martinique est pleinement intégrée à l’économie française et européenne, et fonctionne selon les mêmes principes d’un libéralisme encadré : économie de marché, cadre réglementaire strict, redistribution massive, protection sociale élevée. Exactement comme le reste de la France.
Pourtant, on s’amuse à entretenir l’idée inverse : si l’économie ne fonctionne pas, ce serait nécessairement à cause du « modèle ». Jamais à cause des choix, des stratégies, des priorités, ou de l’absence du goût de l’effort. Le problème serait toujours « l’autre », le système, l’héritage, l’histoire, la structure. Jamais nous.
Ce réflexe est absurde. Dans toutes les territoires insulaires, régions périphériques, on observe les mêmes mécanismes : dépendance aux importations, poids de la consommation, faiblesse de la production locale, coûts logistiques élevés. Ce sont des contraintes géographiques et économiques universelles, pas des anomalies coloniales.
Certains intellectuels et acteurs politiques martiniquais expliquent que ce modèle serait imposé « à nous », comme si les Antillais évoluaient hors du monde réel. Cette vision nous enferme et entretient une posture de déresponsabilisation collective. Elle repose sur une idée dangereuse : si cela ne marche pas, ce n’est jamais de notre fait, mais toujours de celui du système.
Aucun territoire ne se développe en niant les règles du jeu auxquelles il participe. Le discours qui consiste à expliquer en permanence l’échec par le « modèle »installe une culture de l’excuse permanente.
La Martinique bénéficie d’atouts uniques grâce à la France qui offre l’un des cadres les plus favorables au développement du monde : stabilité juridique, accès au marché européen, transferts publics massifs, protection sociale élevée, infrastructures. La Martinique bénéfice d’un niveau de solidarité nationale et d’investissement public sans équivalent par apport à ses voisins caribéens.
Accuser sans cesse un prétendu « modèle » revient à installer une culture de l’excuse permanente et à rendre la réussite suspecte.
Faire croire qu’un autre « modèle » existerait, plus adapté, plus juste, plus naturel « pour les Antillais », relève du fantasme. Il s’agit d’un slogan commode pour expliquer l’échec sans jamais interroger les responsabilités
La réalité est plus exigeante : il n’y a pas de modèle à renverser, mais des comportements à faire évoluer, des compétences à renforcer et des choix à assumer. Tant que le débat public restera prisonnier de ce réflexe consistant à accuser le « modèle » plutôt que de regarder les faits économiques en face, il restera stérile.
Le problème n’est pas le système. Le problème, c’est le refus obstiné de certains d’admettre que l’économie obéit aux mêmes règles partout en Occident — et qu’aucun territoire n’y échappe sans en payer le prix.
Cette manière de voir l’économie est devenue si récurrente, si installée dans le discours dominant, qu’elle a fini par intoxiquer des générations entières. À force de répéter qu’un prétendu « modèle » serait inadapté, injuste ou imposé, on a ancré l’idée que l’échec serait structurel et la réussite suspecte. Cette pensée unique a produit une culture de l’excuse, du renoncement et de la victimisation permanente.
Pour sortir du déclin, il faut rompre avec cette grille de lecture usée, avec ce piège mémoriel qui enferme le présent dans une relecture permanente du passé. L’avenir ne se construira ni dans la dénonciation d’un système fantasmé, ni dans l’attente d’une rupture. Il se construira avec l’émergence d’une nouvelle génération conquérante qui veut bâtir, entreprendre et réussir, sans se réfugier derrière l’alibi d’un modèle prétendument inadapté.
Franck A.




