Le 5 octobre dernier, l’association Tous Créoles a organisé une conférence-débat animée par Jean Crusol, professeur d’économie et spécialiste des économies insulaires. Cette rencontre a été l’occasion d’explorer les défis uniques auxquels sont confrontées les îles, notamment celles de la Caraïbe, ainsi que les opportunités potentielles qui pourraient transformer leurs contraintes en leviers de développement. De l’éloignement géographique aux vulnérabilités climatiques en passant par la dépendance aux importations, Monsieur Crusol a dépeint un tableau complet et nuancé de la situation tout en proposant des solutions innovantes et des pistes de réflexion pour un avenir plus résilient. Cet article revient en détail sur les principaux points soulevés par Monsieur Crusol lors de cette conférence.
Les spécificités des économies insulaires : une vulnérabilité persistante
Jean Crusol a ouvert sa présentation en soulignant que les économies insulaires, particulièrement celles de la Caraïbe, partagent plusieurs caractéristiques structurelles qui les rendent vulnérables. Ces îles possèdent généralement de petites surfaces géographiques et des populations limitées, avec des économies hautement spécialisées dans un nombre restreint de produits d’exportation, tels que le sucre, le café et le tabac.
Il a insisté sur le fait que cette spécialisation économique, bien qu’historique, limite les capacités de diversification et rend ces territoires extrêmement dépendants des fluctuations des marchés mondiaux. Monsieur Crusol a expliqué que cette dépendance crée une situation où les prix des biens, tant importés que produits localement, sont souvent dictés par des facteurs externes. La faible capacité à influencer ces prix place les économies insulaires dans une position de vulnérabilité, surtout en période de crise mondiale.
La dépendance alimentaire : un enjeu stratégique pour les îles
L’un des points cruciaux abordés par Monsieur Crusol a été la question de la sécurité alimentaire dans les économies insulaires. Il a expliqué que la dépendance à l’importation de produits alimentaires est un héritage de l’époque coloniale, où les îles de la Caraïbe étaient structurées pour produire des cultures d’exportation plutôt que de développer des ressources locales pour leur propre consommation.
Il a rappelé que des produits de base comme le pain et le riz, qui constituent une grande partie de l’alimentation locale, ne sont pas d’origine caribéenne mais ont été introduits par les colons européens. Selon lui, cette dépendance alimentaire expose les îles à de graves risques, notamment en cas de perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, comme cela a été observé pendant les deux guerres mondiales et plus récemment lors des crises économiques.
Les effets du réchauffement climatique : une menace disproportionnée
Monsieur Crusol a mis en lumière les conséquences dévastatrices du changement climatique pour les économies insulaires, bien qu’elles soient parmi les plus faibles contributrices aux émissions de gaz à effet de serre. Il a expliqué que les îles de la Caraïbe sont exposées à une érosion côtière croissante, à des cyclones de plus en plus violents et à la montée des eaux, menaçant non seulement les habitats mais aussi l’économie locale.
Il a plaidé pour une justice climatique et une reconnaissance accrue de la dette écologique des pays industrialisés envers les petites nations insulaires. Selon lui, ces territoires devraient recevoir un soutien plus conséquent de la part des organisations internationales pour les aider à adapter leurs infrastructures et à protéger leurs populations contre ces risques environnementaux.
Tourisme et bioénergie : des opportunités pour un développement durable
Malgré ces défis, Jean Crusol a également mis en avant des opportunités économiques innovantes pour les îles de la Caraïbe, notamment dans les secteurs du tourisme et de la bioénergie. Il a cité en exemple la Barbade, qui a récemment développé un carburant alternatif à base de sargasses et de déchets de distillerie de rhum, une innovation qui pourrait à la fois réduire les coûts énergétiques et diminuer la dépendance aux énergies fossiles.
Cette initiative montre que, même face à des problèmes complexes comme la prolifération des algues sargasses, il est possible de transformer ces défis en opportunités. Pour Monsieur Crusol, c’est un exemple concret de la manière dont les économies insulaires peuvent tirer parti de leurs ressources locales pour créer des solutions durables et innovantes.
Diversification alimentaire : redécouvrir le potentiel des ressources locales
Jean Crusol a également proposé une diversification de l’alimentation comme piste pour réduire la dépendance des îles aux importations. Il a suggéré d’explorer les ressources alimentaires locales et de les intégrer davantage dans la consommation quotidienne. En citant l’exemple du fruit ackee en Jamaïque, Monsieur Crusol a montré que des produits locaux, souvent méconnus, pourraient être valorisés pour enrichir les régimes alimentaires locaux et réduire la dépendance à l’égard des produits importés.
Il a également mis en avant l’importance de l’innovation culinaire et de la recherche agronomique pour identifier de nouvelles plantes nutritives qui pourraient être cultivées localement et adaptées aux conditions spécifiques des îles de la Caraïbe.
Le narcotrafic : une menace croissante pour les économies insulaires
Un autre point d’inquiétude soulevé par Monsieur Crusol concerne la montée du narcotrafic dans certaines îles de la Caraïbe. Il a averti que si ce fléau n’est pas encore omniprésent en Martinique, il représente un danger croissant dans des pays comme la Jamaïque et Trinidad, où la criminalité liée aux gangs a atteint des niveaux alarmants.
Il a souligné la nécessité d’une réponse coordonnée entre les États insulaires pour lutter efficacement contre ce phénomène. Il a également évoqué la difficulté pour les petits gouvernements de faire face à cette menace, en raison de ressources limitées et d’un manque de coopération régionale structurée.
Coopération régionale : une clé pour surmonter les défis
Pour Monsieur Crusol, la coopération régionale est essentielle pour permettre aux îles de surmonter leurs vulnérabilités économiques et sociales. Il a rappelé les efforts passés, notamment à travers des initiatives comme Interka, qui ont favorisé les échanges culturels et économiques entre les îles de la Caraïbe. Selon lui, ces collaborations doivent être revitalisées et étendues pour inclure des projets de développement durable, de sécurité alimentaire et de lutte contre le narcotrafic.
Une réflexion sur l’optimum démographique et l’emploi
Abordant la question de la démographie, Monsieur Crusol a contesté l’idée qu’il existe un nombre optimal de population pour une île comme la Martinique. Il a soutenu que l’important est de comprendre et d’adapter la capacité de l’île à soutenir sa population actuelle en fonction de ses ressources disponibles et de ses opportunités économiques.
En ce qui concerne l’emploi, il a critiqué la surreprésentation des emplois dans le secteur public, estimant que cela pouvait limiter l’initiative privée et freiner le développement d’une économie plus diversifiée et résiliente. Pour lui, un rééquilibrage vers des emplois plus productifs dans le secteur privé est nécessaire pour dynamiser l’économie locale.
Conclusion : Transformer les contraintes en leviers de développement
Jean Crusol conclut en soulignant que les défis auxquels font face les économies insulaires, bien que nombreux, ne sont pas insurmontables. Il appelle à une stratégie audacieuse et innovante qui valorise les ressources locales, encourage la coopération régionale et adapte les politiques publiques aux réalités spécifiques des îles. En transformant les contraintes en opportunités, il est convaincu que les économies insulaires de la Caraïbe peuvent construire un avenir plus résilient, durable et prospère.
Cet article nous permet de mieux comprendre la complexité des économies insulaires et les pistes proposées par Monsieur Crusol pour faire face aux nombreux défis qui se posent à ces territoires, tout en mettant en lumière les potentialités qui, bien exploitées, pourraient transformer l’avenir de la Caraïbe.