Un festival de “jongo” sur l’ancienne plantation de café São José do Pinheiro, à Pinheiral, Brésil : une célébration de la culture afro-brésilienne mêlant musique, danse et spiritualité.
La plantation de café São José do Pinheiro, autrefois l’un des domaines les plus florissants du pays durant la traite négrière, est aujourd’hui le théâtre d’une renaissance culturelle. Les descendants des esclaves, qui ont enduré des siècles d’oppression, envisagent de transformer les ruines de cet héritage douloureux en un musée et une école de “jongo”, une pratique culturelle vibrante qui fusionne musique, danse, spiritualité et traditions orales. Ce reportage est signé par le quotidien britannique “The Guardian”.
The Guardian – De Pinheiral
Il y a deux siècles, la plantation de café São José do Pinheiro, située à 120 kilomètres de Rio de Janeiro, se dressait comme l’un des fleurons de la prospérité brésilienne. Dans un pays ayant extrait le plus grand nombre d’esclaves africains de leur terre natale, cette plantation se distinguait particulièrement. Environ 500 travailleurs, une main-d’œuvre conséquente même selon les normes brésiliennes, étaient employés par José de Souza Breves, l’un des hommes les plus riches du pays, qui possédait également huit autres plantations dans la région.
La résidence principale de Breves, un somptueux palais de 20 pièces orné d’œuvres d’art, incluait également un hôpital de 48 lits pour les esclaves, destiné à prévenir les pertes de productivité dues aux maladies et aux blessures.
Aujourd’hui, les terres de cet ancien domaine sont occupées par la ville de Pinheiral, qui tire son nom de la plantation. Les vestiges du palais, tels que des colonnes érodées et des pans de murs envahis par la végétation, se trouvent dans un espace public appelé “parc des Ruines”.
“Nous avons lutté pour récupérer ces terres”
Ainsi, ce qui était autrefois le cœur d’un empire esclavagiste a été reconquis par les descendants de ceux qui y ont été contraints de travailler. Récemment, ils ont obtenu des fonds du gouvernement brésilien pour transformer le parc en un musée et une école de jongo, une expression culturelle afro-brésilienne mêlant musique, danse et traditions orales. Cintia Helena da Silva, une jongueira de 34 ans dont les ancêtres étaient esclaves à Pinheiro, déclare : “Nous avons durement combattu pour récupérer ces terres jadis détenues par un esclavagiste ; maintenant, elles sont à nous.” Elle évoque son immersion dans le jongo depuis son enfance, avec une famille profondément enracinée dans cette tradition.
La famille da Silva fait partie du groupe Jongo da Pinheiral, qui a convenu avec la mairie en 2016 de prendre possession des lieux. Ce groupe s’occupe également du projet de musée. Récemment, ils ont organisé un festival qui a rassemblé 18 autres groupes de jongo sur le même terrain où, au XIXe siècle, les cerises de café séchaient au soleil.
De la vie quotidienne aux messages politiques
Maria de Fátima da Silveira Santos, la maîtresse de cérémonie du Jongo de Pinheiral, a ouvert le festival. Sa parure de colliers, bagues et bracelets témoigne de son statut. Elle a psalmodié : “Je suis venue bénir la terre que je foule.” Les jongueiros ont formé un cercle, et accompagnée de tambours par deux musiciens, Mestra Fatinha a “jeté un ponto”, que l’ensemble du groupe a ensuite repris. Les paroles des pontos abordent des sujets variés, allant des préoccupations quotidiennes à des messages politiques audacieux évoquant l’esclavage.
Le jongo se danse généralement en duo, un homme et une femme, circulant librement dans le cercle des participants. Il n’y a pas de chorégraphie fixe, permettant aux danseurs de se relayer pendant des heures, parfois jusqu’à l’aube. Mestra Fatinha précise : “Le jongo était pour les Noirs un moyen de s’exprimer. Il évoquait des sujets politiques, favorisait les rencontres amoureuses et rendait hommage aux orixás, divinités du candomblé.”
Une transmission culturelle vivante
Selon l’historien et ethnomusicologue Rafael Galante, le mot “jongo” provient de la famille des langues bantoues, parlées par la majorité des esclaves africains arrivés au Brésil au XIXe siècle. Bien qu’il intègre des éléments culturels d’Afrique centrale, le jongo est un phénomène typiquement brésilien, représentant l’expérience de la diaspora.
Mestra Fatinha souligne que le jongo d’aujourd’hui est une continuité des traditions ancestrales : “Il a été transmis de génération en génération.” Son rôle a évolué : “Nous, en tant que Noirs, en avons fait un symbole de notre lutte. Nous l’utilisons pour revendiquer notre place à l’école et à l’université, et pour parler de nos traditions.”
Un hommage à nos ancêtres
Pratiqué par au moins 14 communautés noires du Sud-Est brésilien, le jongo est souvent lié aux quilombos, des communautés fondées par des esclaves évadés. Bien qu’il ne soit pas une religion, le jongo est imprégné de spiritualité, ses chants faisant référence aux orixás et aux figures catholiques.
“Nous évoquons toujours nos ancêtres, car sans eux, nous ne serions pas ici. Nous dansons en leur mémoire”, explique Mestra Fatinha. Avec Marcos André Carvalho, directeur artistique, elle coordonne le projet de transformation des ruines de Pinheiro en mémorial pour les personnes noires. Rafael Galante conclut : “Le domaine de Pinheiro représentait jadis l’apogée de l’esclavage au Brésil. Aujourd’hui, ceux qui ont survécu à cette violence s’approprient ce lieu pour en faire un centre mémoriel. Le jongo est toujours présent, et il est temps de lui rendre hommage.”
Tiago Rogero