Les désordres de la Caisse générale de Sécurité sociale de Martinique (CGSSM) désignent une profonde crise de gouvernance et de gestion ayant conduit, à l’automne 2025, à sa mise sous administration provisoire par le ministère de la Santé et des Solidarités. Cette décision exceptionnelle marque un tournant pour un établissement chargé de verser plus d’un milliard d’euros de prestations sociales chaque année et qui joue un rôle vital dans la santé publique, la retraite et la cohésion sociale du territoire.
Une crise institutionnelle sans précédent
Depuis le début de 2025, la CGSSM faisait face à des blocages internes majeurs : absence de quorum lors des réunions du conseil d’administration, tensions autour de la présidence et incapacité à adopter le budget annuel. Ces dysfonctionnements ont paralysé la gestion de l’établissement, pourtant pivot du système social martiniquais. L’institution gère à la fois la branche maladie, la retraite, les allocations familiales et le recouvrement des cotisations.
Le 7 octobre 2025, la ministre de la Santé a décidé de suspendre l’ensemble du conseil d’administration, plaçant la Caisse sous l’autorité d’un administrateur provisoire, Jean-Luc Izard, haut fonctionnaire de la direction de la Sécurité sociale. Sa mission : rétablir la continuité du service public, sécuriser la gestion des prestations et préparer un renouvellement du conseil prévu pour février 2026. Selon le communiqué préfectoral, cette mesure vise à « restaurer la sérénité du dialogue social et à garantir la transparence de la gestion dans l’intérêt des assurés sociaux ».
Des critiques récurrentes de la Cour des comptes
Cette décision n’est pas un coup de tonnerre isolé. Dès 2024, la Cour des comptes avait sévèrement pointé les failles structurelles de la CGSSM, dénonçant une « gestion défaillante » et une « qualité dégradée du service rendu à l’usager ».
Parmi les constats les plus marquants :
• des délais de traitement des dossiers de retraite atteignant 183 jours, soit 60 % de plus que la moyenne nationale ;
• plus de 300 000 euros de feuilles de soins non traitées ;
• des erreurs fréquentes dans la liquidation des pensions et un recouvrement insuffisant des cotisations sociales ;
• des irrégularités dans les marchés publics, un pilotage RH déficient et des dérives dans la gestion du Comité social et économique, accusé de transferts irréguliers de fonds et de dépenses d’expertise non justifiées.
Les magistrats financiers recommandaient déjà un « plan de redressement global », assorti de contrôles renforcés, et évoquaient « la possibilité d’une mise sous tutelle en cas d’échec des réformes internes ». Le rapport soulignait également le manque de supervision de la tutelle nationale, jugée « trop distante » pour détecter à temps les signaux d’alerte.
Les réactions locales : entre incompréhension et lassitude
Face à cette mise sous administration, les réactions locales oscillent entre résignation et soulagement. Pour un ncien président du conseil, c’est une décision « regrettable mais nécessaire pour sortir d’un blocage devenu insoutenable ». Il dénonce toutefois le boycott systématique de certains administrateurs, accusés d’avoir « paralysé la gouvernance à des fins de posture politique ».
Les syndicats du personnel, pour leur part, expriment une inquiétude vive : ils redoutent que la mise sous tutelle n’annonce une réorganisation du personnel ou une fusion structurelle avec la CGSS de Guadeloupe dans le cadre d’une rationalisation régionale. Le Medef Martinique plaide quant à lui pour une « remise à plat totale du système de gestion » et la création d’un pôle régional unique de recouvrement, afin de restaurer la confiance des entreprises et des travailleurs indépendants.
Une crise symptomatique des fragilités structurelles ultramarines
Au-delà du cas martiniquais, cette crise met en lumière la fragilité institutionnelle des organismes de sécurité sociale dans les Outre-mer : dépendance à la fonction publique nationale, tensions politiques locales, faible renouvellement des cadres et charge administrative disproportionnée face à des besoins sociaux croissants.
La CGSSM illustre un désajustement entre la gouvernance administrative héritée du modèle centralisé et la réalité socio-économique du territoire. Dans un contexte de vieillissement accéléré de la population, de précarisation du travail et de crise du système de santé, la perte de confiance dans un acteur aussi stratégique menace directement la cohésion sociale et la continuité du service public.
Et après ?
L’administrateur provisoire, Jean-Luc Izard, doit remettre en janvier 2026 un rapport d’audit complet sur la gestion financière et les ressources humaines, assorti de propositions pour moderniser le fonctionnement de la Caisse. Ce document servira de base à la réforme de gouvernance que le ministère entend conduire dans l’ensemble des territoires ultramarins, avec pour objectif d’harmoniser les pratiques et de renforcer la transparence des institutions sociales.
La crise de la CGSSM pourrait ainsi devenir un cas d’école : celui d’un système social à bout de souffle, appelé à se repenser pour redevenir un instrument de solidarité et d’efficacité, plutôt qu’un symbole de blocage et de défiance.
Les chiffres-clés de la CGSS Martinique (2024)
• Budget global : 1,05 milliard d’euros
• 126 000 assurés actifs et 98 000 retraités
• 410 agents en poste, dont 62 en télétravail
• Taux de recouvrement des cotisations : 87 % (contre 94 % au niveau national)
• Délais moyens de traitement : 183 jours (pensions), 46 jours (allocations familiales)
• 7,8 millions d’euros d’impayés en cours de recouvrement
Source : Cour des comptes / CGSSM / Préfecture de Martinique (rapports 2024-2025)
Rédaction Antilla-Martinique – octobre 2025
 
		

 
									 
					
