Ernest Renan – « Qu’est-ce qu’une Nation ? »
Conférence prononcée à la Sorbonne, le 11 mars 1882
Contexte
- En 1882, la France vient de connaître la défaite de 1870 face à la Prusse et la perte de l’Alsace-Lorraine. Le débat sur la définition de la nation est vif : les Allemands, s’appuyant sur la race et la langue, revendiquent ces territoires. Renan, lui, propose une vision humaniste, civique et spirituelle de la nation.Une nation n’est pas une donnée naturelle
Renan réfute l’idée selon laquelle une nation reposerait sur la race, la langue, la religion ou la géographie. Ces éléments, dit-il, ne suffisent pas à expliquer ce qui unit véritablement un peuple.
La nation est avant tout une construction historique et morale.
« L’homme n’appartient ni à sa langue, ni à sa race : il appartient à la fois à son passé et à son choix. »
Une nation est une âme, un principe spirituel
Renan définit la nation comme une communauté d’esprit fondée sur deux éléments : la possession en commun d’un riche legs de souvenirs, et le consentement actuel à vivre ensemble. C’est cette double fidélité — mémoire partagée et volonté commune — qui fait la nation.
« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses, qui à vrai dire n’en font qu’une, constituent cette âme : l’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble. »
Le « plébiscite de tous les jours »
Renan conçoit la nation comme une volonté collective renouvelée quotidiennement. L’existence d’une nation n’est pas un fait figé, mais un acte de foi réitéré par chaque génération.
« L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours. »
Le rôle du sacrifice et de l’oubli
Pour Renan, la mémoire d’un peuple est faite à la fois de gloire et de souffrance. L’unité nationale suppose parfois l’oubli de certaines blessures et divisions, sans quoi la communauté se fragmenterait.
« L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation. »
En résumé : la conception renanienne de la nation
Ce que la nation n’est pas :
– Ni une race
– Ni une langue
– Ni une religion
– Ni une frontière naturelleCe que la nation est :
– Une volonté de vivre ensemble
– Un héritage de souvenirs partagés
– Un projet politique et moral
– Un choix libre et quotidienHéritage
Renan pose ici les fondements de la conception républicaine de la nation française, fondée sur la citoyenneté, la mémoire et le consentement. Sa vision s’oppose à la conception ethnoculturelle (Herder, Fichte) qui fonde la nation sur la langue ou le sang.Citation emblématique
« Une nation est une grande solidarité constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. »Ainsi, pour Renan, la nation n’est pas une donnée biologique ni une fatalité historique : c’est un projet collectif, une promesse partagée, une volonté d’avenir.



