Les enseignants sont essentiels dans cette crise du coronavirus. L’a-t-on oublié ?
7 avril 2020.
Auteurs:
Olivier Arvisais
Professeur, Département de didactique, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Marion Deslandes Martineau
Université du Québec à Montréal (UQAM)

Patrick Charland
Professeur titulaire, Département de didactique, Université du Québec à Montréal (UQAM)

L’enseignement contribue à assurer les apprentissages essentiels. La fermeture des écoles depuis le début de la crise de la Covid-19 prive les enfants et les jeunes de possibilités de développement et de perfectionnement.

Les impacts de cette décision risquent d’être majeurs, et ce, particulièrement pour les élèves vulnérables, notamment les élèves défavorisés, qui ont généralement accès à un nombre plus restreint de possibilités éducatives hors du cadre scolaire.

Les élèves avec des difficultés d’apprentissage peuvent être aussi particulièrement touchés lors d’une interruption prolongée de l’école. Sans compter que la charge liée au rattrapage après une période d’inactivité prolongée peut précipiter le décrochage scolaire pour certains.

La situation actuelle au Québec et ailleurs dans le monde rend nécessaire la mise en place d’un plan d’action pour maintenir les apprentissages et minimiser les inégalités et les effets négatifs que pourraient générer cet arrêt prolongé dans le parcours scolaire des élèves québécois.

Notre groupe de chercheurs mène ses travaux à la Chaire UNESCO de développement curriculaire (CUDC). Nos champs d’expertise sont l’éducation en situation d’urgence, l’enseignement et la didactique des sciences.

Les recherches dans le domaine de l’éducation en situation de crise nous permettent d’identifier trois grandes orientations pour planifier l’éducation pendant la pandémie : soutenir les parents, identifier les besoins des élèves et gérer les ressources éducatives.

Les parents ont besoin d’aide

Alors que les écoles sont fermées, on demande aux parents d’enseigner et de faciliter l’apprentissage à la maison. Plusieurs peuvent éprouver des difficultés à s’acquitter de cette tâche, ce qui peut devenir une source de stress importante.

Les enseignants doivent soutenir les parents, par exemple, en leur donnant des idées et des recommandations pour accompagner leurs enfants. Shutterstock
Les parents se mettent déjà beaucoup de pression concernant l’éducation de leurs enfants. En situation de crise comme celle que nous traversons, l’école doit donc être plus que jamais à leur écoute et répondre à leurs inquiétudes. La priorité est de s’assurer que chaque famille ait accès à des ressources pour maintenir et consolider les apprentissages.

Pour ce faire, les enseignants jouent un rôle clé. Dans les contextes de crise où nous menons nos recherches, il est rare de pouvoir compter sur un personnel enseignant formé et professionnel. Par exemple, au sein des communautés de personnes réfugiées, l’enseignant type a un diplôme d’étude secondaire et quelques semaines de formation en enseignement.

Au Québec, nous avons la responsabilité de mobiliser les enseignants. L’idée n’est pas tant de permettre l’enseignement à distance que de mettre en place des mesures permettant d’assurer idéalement une consolidation, ou minimalement un maintien, des apprentissages afin de réduire les effets négatifs d’un arrêt prolongé lors de la reprise des classes.

Clarifier les attentes

De plus, les enseignants doivent fixer des objectifs clairs et réalistes, qui devront émaner du ministère de l’Éducation, et adapter ces objectifs pour chaque enfant. Ce rôle des enseignants est particulièrement important pour les élèves les plus vulnérables et leurs parents, avec qui il importe de communiquer régulièrement et de procéder à des évaluations fréquentes de leur situation.

Les enseignants doivent aussi réduire stratégiquement leurs attentes envers tous les élèves et identifier quelques éléments précis sur lesquels ils veulent que les élèves se concentrent, tout en s’assurant que les attentes sont claires de part et d’autre.

Il est aussi possible de planifier les tâches pour permettre aux élèves de travailler à leur propre rythme, de leur propre initiative ou en fonction de leurs champs d’intérêt, par exemple en offrant plusieurs choix d’activités.

Par nature, les crises sont imprévisibles. De plus, il n’existe pas de « plan maître » d’enseignement d’un certain niveau scolaire. Les enseignants organisent leur « année » chacun à leur manière. Par conséquent, la mise en place d’initiatives gouvernementales génériques, sans les enseignants comme acteurs centraux, est une piste d’action peu efficace. Seuls les enseignants peuvent traduire les orientations gouvernementales en mesures concrètes d’apprentissage.

Définir les besoins

Les inégalités entre les élèves doivent impérativement être identifiées et palliées, tant en regard des besoins de base (alimentation et sécurité) que des besoins éducatifs. Encore une fois, l’implication des enseignants est essentielle pour veiller à la réduction des inégalités sociales.

Les recherches dans le domaine de l’éducation en situation de crise suggèrent que presque tous les élèves, et encore plus les élèves vulnérables subissent une baisse de performance scolaire ou un retard dans les apprentissages lors d’un arrêt prolongé. Par conséquent, il est primordial que les enseignants assurent un suivi auprès de leurs élèves et définir les besoins spécifiques des élèves plus vulnérables pour maintenir des apprentissages appropriés.

Puisque les élèves peuvent souffrir du manque d’interaction sociale que procure l’école, il est souhaité de leur donner des occasions d’entrer en contact avec leurs collègues et leur enseignant en formant des groupes de discussion virtuels ou en offrant des plates-formes d’apprentissage interactives.

L’école constitue aussi pour de nombreux jeunes un important moyen de protection. Plusieurs ont besoin des repas qui y sont fournis gratuitement ou à faible coût pour se nourrir suffisamment ou avoir une alimentation saine. La fermeture des écoles peut donc avoir une incidence directe sur la sécurité alimentaire des élèves. Des solutions doivent donc être mises en place rapidement.

Certains jeunes peuvent également être plus à risque de violence en milieu familial, puisque le filet de sécurité offert l’école en temps normal ne tient plus durant le confinement, ce qui peut résulter en une baisse importante du nombre de signalements à la Direction de la protection de la jeunesse. Les enseignants doivent préserver le lien privilégié qu’ils ont avec leurs élèves afin d’assurer leur sécurité.

Varier les ressources éducatives

Les ressources numériques peuvent aider à l’apprentissage, mais peuvent aussi être un obstacle. Les familles n’ont pas nécessairement toutes accès aux mêmes outils technologiques (internet, ordinateur, télévision, téléphone). Elles n’ont pas non plus le même niveau de connaissances et de compétences en matière d’utilisation des technologies. Ces éléments peuvent creuser les inégalités entre les élèves.

Il faut donc s’assurer que tous les élèves aient accès à des ressources suffisantes afin de maintenir leurs apprentissages. De plus, lors de crises touchant un très grand nombre de gens, la surcharge de consultation des ressources en ligne peut réduire considérablement la performance des sites ou en mettre certains hors service. Un accès plus ardu peut aussi décourager plusieurs parents.

L’idée n’est pas de mettre de côté toutes les plates-formes numériques d’apprentissage, mais il est nécessaire de mettre en place des solutions variées, stables et moins vulnérables aux pannes et aux difficultés techniques, comme les envois postaux, les communications téléphoniques, ainsi que la radio et la télévision éducatives.

Le soutien du personnel enseignant est absolument nécessaire pour que se concrétisent ces orientations principales. Les initiatives gouvernementales pour assurer le maintien des apprentissages ne sauraient être efficaces sans la mise à profit d’une ressource éducative inestimable : l’expertise des enseignants.

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