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Des orques font des offrandes aux humains, des singes consomment de l’alcool, des oiseaux peuvent changer de sexe… Notre chronique « Animaux géniaux » met à l’honneur l’ingéniosité de ces non-humains.
[Chronique « Animaux géniaux »] On nous le serine depuis l’Antiquité : la mémoire des poissons serait courte, la cervelle des moineaux minuscule, la cruauté des ours sans pareille… Pourtant, les études scientifiques démontrant que les non-humains rivalisent d’intelligence, de sensibilité et d’ingéniosité s’accumulent. Chaque mois, Reporterre vous propose un florilège consacré à ces vivants si fascinants.
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Les orques offrent des cadeaux aux humains
On se les représente volontiers en tueuses vengeresses. On imagine moins qu’elles peuvent, à l’occasion, se montrer généreuses à l’égard d’autres espèces — y compris la nôtre. Dans une étude publiée dans la revue scientifique Journal of Comparative Psychology, des spécialistes des cétacés rapportent 34 cas d’« offrandes » offertes par des orques sauvages à des humains.
Concrètement, lesdites orques se sont rapprochées d’humains avec une proie dans la bouche, puis l’ont relâchée devant eux. « Dans presque tous les cas, [elles] ont attendu une réaction humaine avant de réagir à leur tour [en reprenant ou abandonnant la proie sur place] », décrivent les scientifiques.
Ces interactions, qui ont eu lieu entre 2004 et 2024, ont soit été directement vécues par les auteurs de cette étude, soit rapportées par d’autres personnes qu’ils ont interviewées. Ces comportements ont concerné des orques de tous les âges et de tous les sexes, provenant de 6 populations différentes dans 4 océans.
Dans le détail, 21 des « offrandes » répertoriées ont été faites à des humains à bord de bateaux, 11 à des humains se trouvant dans l’eau, et 2 sur la plage. 18 espèces différentes (de poissons, mammifères, d’oiseaux, d’algues, etc.) ont été « offertes ».

Selon les auteurs, les « cadeaux » des orques peuvent être qualifiés « d’altruisme interspécifique généralisé ». Jusqu’à présent, ce comportement avait majoritairement été observé chez les humains — qui « approvisionnent »d’autres espèces depuis des millénaires —, et chez des animaux domestiques, qui « offrent » occasionnellement à leur propriétaire les oiseaux et rongeurs qu’ils capturent.
« Apparemment non aléatoires », ces cadeaux pourraient permettre aux orques sauvages de mettre en pratique les comportements culturels, supposent les scientifiques. Il pourrait également s’agir d’une forme de jeu, ou de manière « d’apprendre à nous connaître, à interagir et à développer des relations avec nous ».
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Des chimpanzés consomment de l’alcool
Les humains ne sont pas les seuls à boire de l’alcool. Une équipe de chercheurs de l’université de Berkeley, en Californie, a découvert que les chimpanzés consomment l’équivalent de deux unités d’alcool par jour, via leur consommation « substantielle » de fruits mûrs et riches en éthanol (produit via la fermentation des sucres qu’ils contiennent).
Les scientifiques sont arrivés à cette conclusion en faisant des prélèvements de fruits sur des sites en Ouganda et en Côte d’Ivoire, prisés par nos lointains cousins. D’après leurs calculs, lesdits fruits contiennent en moyenne 0,26 % d’éthanol. Les mâles comme les femelles en dévorant environ 4,5 kg par jour, ils absorbent en moyenne 14 g d’alcool pur par jour. Ce qui, rapporté à leur poids, équivaut à une pinte de bière.
« L’équivalent d’une pinte de bière par jour »
Ce n’est pas la première fois que des animaux sont repérés en train de lever le coude. Une étude de 2016 a montré que, lorsque l’on propose à des ayes-ayes (des primates originaires de Madagascar) et des loris paresseux en captivité du nectar plus ou moins alcoolisé, ils se tournent en priorité vers le nectar contenant le plus d’éthanol. Des métabolites d’alcool ont également été retrouvés, en 2022, dans l’urine de singes-araignées, et en 2025 dans celle de dix espèces d’oiseaux.
On ignore si ces êtres recherchent activement l’ivresse. L’odeur de l’éthanol pourrait les aiguiller vers les fruits qui contiennent le plus de sucre. La consommation de fruits imbibés d’alcool pourrait également augmenter leur plaisir gustatif, ou jouer un rôle social. Ces découvertes appuient l’hypothèse des « singes ivres », élaborée par le professeur à l’université de Berkeley Robert Dudley, selon qui notre appétence pour l’alcool nous aurait été transmise par nos ancêtres primates.
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Les oiseaux peuvent changer de sexe
Vous êtes un kookaburra rieur mâle, vous rigolez perché sur une branche… et soudain, vous pondez un œuf. Impossible ? Pas à en croire une étude publiée le 13 août dans Biology Letters. Des chercheurs australiens ont en effet découvert que l’« inversion sexuelle » — c’est-à-dire le décalage entre le sexe génétique déterminé par les chromosomes et les caractéristiques reproductives observées telles que la présence d’ovaires — est plus fréquente chez les oiseaux sauvages qu’on ne le pensait.
Pour mesurer la fréquence du phénomène, les chercheurs ont étudié l’ADN et disséqué près de 500 oiseaux appartenant à 5 espèces courantes du Queensland : le kookaburra rieur, la pie australienne, le loriquet arc-en-ciel, le pigeon huppé et le loriquet à poitrine écailleuse. Bilan, 3 à 6 % des volatiles avaient changé de genre. La plupart étaient génétiquement femelles avec des organes reproducteurs mâles, mais quelques mâles génétiques possédaient des ovaires. Un kookaburra génétiquement mâle présentait même un oviducte distendu, indiquant qu’il avait récemment pondu un œuf.

Perturbateurs endocriniens ? Stress environnemental ? Les causes de ces inversions sont encore inconnues. Mais ce n’est pas la première fois que les chercheurs observent que d’autres facteurs que les chromosomes jouent dans la détermination du genre.
Ainsi, les œufs de tortues qui incubent à des températures plus fraîches produisent de petits mâles, tandis que l’augmentation de la chaleur entraîne des caractères sexuels féminins. Le même phénomène a été observé chez les dindes sauvages, qui incubent leurs œufs dans d’énormes monticules.
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Les fourmis sont « surefficaces » en équipe
Chez les humains, plus on est nombreux dans une équipe, plus certains trouvent malin de lever le pied. C’est l’effet Ringelmann : au tir à la corde, un costaud qui sue pendant que trois autres font semblant de gérer la stratégie. Dans le monde minuscule des fourmis tisserandes, c’est l’inverse : plus elles sont nombreuses, plus elles sont individuellement superefficaces, selon une étude publiée le 8 septembre dans Current Biology.
Ces fourmis, présentes en Afrique et en Asie tropicale, construisent leur nid en pliant et cousant des feuilles bien plus grandes qu’elles à l’aide de la soie de leurs larves. Pour comprendre leur coordination, des chercheurs ont mesuré la force exercée par des équipes de fourmis sur des feuilles artificielles reliées à des capteurs. Résultat : une fourmi seule tire l’équivalent de 60 fois son poids, mais en groupe, chaque membre atteint en moyenne 103 fois son poids.
Cette « surefficacité » repose sur une organisation particulière : les « tireuses actives » exercent la traction sur la feuille pour la tirer et la plier, tandis que des « résistantes passives » s’accrochent aux autres et servent d’ancrage, formant une chaîne fonctionnant comme un cliquet. Grâce à leurs pattes adhésives et à une coordination précise, les fourmis empêchent tout glissement et renforcent collectivement la force de traction.
« Ce serait formidable de voir des robots travailler ensemble de manière ultra efficace », a réagi auprès de Science David Hu, ingénieur en mécanique à l’Institut de technologie de Géorgie. Et les humains ?