À peine installé à Matignon, Sébastien Lecornu a multiplié les signaux en faveur d’un « grand acte de décentralisation ». Entre réorganisation du fameux « millefeuille administratif » et meilleure reconnaissance des élus locaux, le Premier ministre entend incarner un tournant. Mais au-delà des intentions, que peut-il réellement tenir d’ici la fin du quinquennat ?
Un « grand acte de décentralisation » encore flou
Le chef du gouvernement promet un projet de loi global devant le Parlement, qualifié de « grand acte de décentralisation, de clarification et de liberté locale ». L’objectif affiché est de redéfinir clairement les compétences entre l’État, les préfets, les collectivités et les intercommunalités, afin d’éviter « la dilution des responsabilités ». L’annonce est ambitieuse, mais sa faisabilité reste incertaine. La mise en place d’une telle réforme suppose des arbitrages politiques et budgétaires lourds, ainsi qu’un consensus avec les associations d’élus. Si un texte peut être déposé dès 2026, sa pleine mise en œuvre avant 2027 paraît improbable.
Reconnaissance des maires : un signal concret dès 2026
Dans une lettre adressée à tous les maires le 17 septembre 2025, Sébastien Lecornu a assuré que le budget 2026 comporterait une « juste reconnaissance » de leur rôle comme agents de l’État. Ce signal, plus simple à traduire dans les textes financiers, apparaît crédible. Parmi les mesures envisagées figure la création d’une contribution spécifique de l’État, équivalente à 10 % du plafond indemnitaire des maires, ainsi que l’extension de la dotation particulière « élu local » aux petites communes.
Le statut de l’élu local : une réforme attendue
Autre chantier prioritaire, la loi sur le statut de l’élu local. Déjà engagée en première lecture, elle doit aboutir avant les prochaines municipales. Elle prévoit notamment une hausse des indemnités, des trimestres de retraite supplémentaires pour certains élus et des améliorations sur la formation et la couverture sociale. La mesure est techniquement faisable dans le calendrier, mais pourrait être amendée par le Parlement, notamment au Sénat.
La simplification administrative, une réforme à long terme
Le Premier ministre promet enfin de « clarifier l’organisation administrative » : État central, préfets, collectivités, chacun devant avoir ses compétences clairement établies. Là encore, l’ambition est élevée mais la résistance institutionnelle sera forte. Tout au plus un cadre législatif pourrait être posé avant 2027, tandis que la mise en œuvre effective s’étalerait au-delà du quinquennat.
Combien coûtera la décentralisation version Lecornu ?
Selon les estimations disponibles, la mise en œuvre des promesses de Sébastien Lecornu représenterait entre 280 et 410 millions d’euros par an pour l’État et les collectivités, soit entre 560 et 820 millions d’euros sur 2026-2027. La revalorisation des indemnités des élus locaux pourrait représenter à elle seule entre 150 et 200 millions d’euros par an. L’extension de la DPEL ajouterait un coût compris entre 40 et 60 millions d’euros par an. La reconnaissance des maires comme agents de l’État se situerait dans une fourchette de 50 à 80 millions d’euros par an. Les charges liées aux améliorations de conditions de travail et de représentation, telles que les frais de transport, la formation ou la protection sociale, représenteraient entre 30 et 50 millions d’euros annuels. Enfin, les coûts administratifs liés à l’élaboration et au suivi des réformes s’élèveraient à environ 10 à 20 millions d’euros par an.
Ces montants restent soumis à de fortes incertitudes. L’ampleur réelle des revalorisations, la part assumée par les communes, l’inflation ou encore le phasage des mesures dans le temps peuvent modifier sensiblement la facture finale.
Entre volontarisme et contraintes
Certaines promesses, comme la réforme du statut de l’élu local et la reconnaissance financière des maires, sont relativement crédibles à court terme. D’autres, telles que la simplification profonde du millefeuille administratif, apparaissent plus difficiles à concrétiser dans un calendrier aussi contraint. Le contexte complique encore la tâche : une Assemblée nationale fragmentée, des finances publiques sous pression et des attentes locales particulièrement fortes. Le risque est donc que l’« acte de décentralisation » annoncé reste partiel ou inachevé, faute de temps et de moyens.
Jean-Paul BLOIS