L’entrée en vigueur, au 1er janvier 2026, du Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) – souvent qualifié de taxe carbone à l’importation – prévu par le règlement (UE) 2023/956, fait peser une menace économique et sociale sur les territoires français d’Amérique : la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane mais aussi à la Réunion.
Conçu pour répondre aux enjeux industriels du continent européen, ce mécanisme a été pensé hors-sol, sans considération pour les réalités structurelles des Régions ultrapériphériques (RUP). Il ignore nos contraintes de distance, d’insularité, de dépendance aux importations et de faiblesse des marchés locaux, renforçant mécaniquement une orientation forcée des flux commerciaux vers l’Europe, au détriment de notre bassin géographique naturel : la Caraïbe et l’Amérique du Sud.
Un renchérissement massif des coûts essentiels. Appliqué aux Antilles et à la Guyane, le MACF entraînera un surcoût immédiat et durable sur des intrants stratégiques :
• le clinker nécessaire à la production de ciment,
• les ciments et bétons utilisés par les entreprises du BTP et les particuliers,
• les aciers transformés et l’aluminium,
• les produits azotés indispensables à l’agriculture,
• et, de façon transversale, une hausse du coût du transport maritime.
Dans des territoires où tout ou presque est importé, cette inflation mécanique se répercutera directement sur le coût du logement, les infrastructures publiques, la production agricoleet, in fine, sur le pouvoir d’achat des populations antillo-guyanaises, déjà fortement fragilisé.
Une incohérence avec la lutte contre la vie chère. Cette nouvelle contrainte européenne intervient au pire moment.
Alors que l’État et les collectivités sont engagés dans des discussions et des dispositifs visant à endiguer la vie chère, à réformer l’octroi de mer et à réduire les coûts d’approche, le MACF viendrait aggraver structurellement les prix.
Il s’agit là d’une contradiction majeure : d’un côté, on cherche à fluidifier les échanges régionaux et à favoriser des approvisionnements plus proches géographiquement ; de l’autre, on impose une taxe carbone qui renchérit précisément ces flux, poussant paradoxalement à continuer d’importer depuis l’Europe, au prix de trajets plus longs et plus polluants.
Une entrave à l’intégration régionale caribéenne
Pour les Antilles et la Guyane, le MACF constitue un frein direct à l’intégration régionale.
Il pénalise les échanges avec les pays de la Caraïbe et de l’Amérique du Sud, pourtant essentiels à la sécurisation des approvisionnements, à la diversification des sources et à la construction d’un véritable espace économique antillo-guyanais.
Cette logique va à rebours des ambitions affichées de coopération régionale, et fragilise les perspectives de marché unique antillais, de cabotage régional et de plateformes logistiques de proximité.
Un manquement au droit européen des RUP. Le MACF, dans sa version actuelle, méconnaît l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui impose explicitement une adaptation des politiques européennes aux contraintes spécifiques des RUP. Mais où sont passés nos politiques ?
Les acteurs économiques des Antilles et de la Guyane ont déjà alerté sur les conséquences potentiellement graves de ce dispositif s’il devait être appliqué sans aménagement.
Il est donc impératif qu’une étude d’impact spécifique aux territoires antillo-guyanais soit menée avant toute mise en œuvre.
Une exigence politique claire : adapter ou suspendre. Cette position doit être défendue sans ambiguïté auprès de la Commission européenne.
Il est indispensable que le Gouvernement, en lien étroit avec les élus locaux, les organisations professionnelles et les acteurs économiques, porte une demande claire : l’adaptation profonde, voire la non-application du MACF dans les Antilles, Guyane ainsi qu’à la Réunion.
Appliqué en l’état, ce règlement mettrait en péril des filières entières, renforcerait la dépendance aux importations lointaines et aggraverait la précarité sociale, au moment même où la cohésion territoriale et la résilience économique devraient être des priorités absolues.
Jean Claude Florentiny
Dirigeant du cabinet d’expertise Global Services & Logistics
Conseiller du Commerce Extérieur de France



