À travers Matjoukann, la ville de Saint-Pierre, labélisée « ville d’art et d’histoire » se transforme en laboratoire vivant lors des Journées Nationales de l’Architecture, du 17 au 19 octobre prochains, sur le thème « Rémisssion ». Six installations éphémères conçues par des équipes pluridisciplinaires d’artistes et architectes souvent très jeunes, viennent révéler les cicatrices de la ville et esquisser des chemins de renaissance, entre mémoire, imaginaire et reconstruction.
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Une ville en dialogue avec son passé
Saint-Pierre, « ville martyre » figée dans les mémoires depuis l’éruption de 1902, porte encore les stigmates de son histoire. Ses vestiges, ses « dents creuses » et ses espaces délaissés témoignent à la fois d’une richesse patrimoniale exceptionnelle et d’une lente convalescence urbaine.
C’est dans cette tension que s’inscrit le Festival Matjoukann, organisé par la Maison de l’Architecture de Martinique, le CROAM et le CAUE. Son nom, issu du créole martiniquais, « pa(ma)trimoine », dit bien son ambition : mettre en lumière un héritage partagé, non pour le sacraliser mais pour le réinventer.
Matjoukann : un évènement cathartique
Pour cette deuxième édition, les organisateurs ont lancé un appel à candidatures afin de concevoir cinq installations in situ. Chacune est pensée comme un révélateur : transformer un lieu oublié, trop vu ou banalisé, en un espace actif, porteur de sens. Les interventions visent à stimuler les sens du public, à créer un liannaj , ce lien sensible entre habitants, histoire et ville.
Ces architectures temporaires se veulent des témoins d’un moment, des empreintes fragiles mais fertiles. Elles racontent l’ancien et le présent, tout en ouvrant des perspectives vers un commun à bâtir. Matjoukann n’est pas une célébration nostalgique : c’est une invitation à regarder autrement la ville et à imaginer son avenir.
Thématique 2025 : Rémission
Après une première édition placée sous le signe de « l’éruption », le festival choisit en 2025 le thème de la « rémission ». L’objectif : accompagner la sortie du deuil, impulser une vitalité nouvelle, réinventer couleurs et musique au cœur de Saint-Pierre.
Les installations sont conçues comme des « vitamines urbaines », des compléments symboliques capables d’aider la ville à sortir de sa léthargie. Concrètement, elles évitent l’ancrage au sol — pour contourner les contraintes archéologiques — et se déposent avec délicatesse, « comme des caresses réconfortantes sur les plaies de la convalescente ».
Au-delà de la sensibilisation à l’architecture et à l’art éphémère, Matjoukann est aussi une expérience collective : réinventer le regard porté sur Saint-Pierre, créer des passerelles entre passé et futur, activer une mémoire vivante.
La ville ne redeviendra sans doute jamais la capitale culturelle et économique d’antan. Mais elle retrouve une énergie neuve, en transformant ses vides et ses cicatrices en ressources.
C’est ce pari que porte le Festival : redonner souffle et désir de ville, transformer les sites oubliés en lieux d’avenir, et faire de l’architecture un remède à la fois poétique et politique pour la cité.
Nathalie Laulé
Anne Jégouzo, archéologue, chercheuse et directrice du service Patrimoine de la Ville de Saint Pierre
« Nous sommes ravis d’accueillir pour la deuxième fois ce festival. Nous avons mis à disposition deux lieux emblématiques, les ruines de l’église du Fort, l’un des lieux qui illustre le mieux la puissance de l’éruption et qui a un côté particulièrement romantique. Un autre lieu de religion qui est la chapelle de l’abbé Gosse, un très beau lieu, sur les ruines de l’asile Bethléem, et plusieurs dents creuses à des endroits stratégiques puisque nous aurons une déambulation dans la ville assez longue, du quartier du Fort au quartier du Mouillage.
La thématique choisie cette année intéresse directement Saint Pierre puisqu’elle touche la problématique directe de la construction à Saint Pierre. Le Saint Pierre d’aujourd’hui étant construit sur une ville totalement disparue, il y a forcément des impacts sur des vestiges archéologiques souterrains ou en élévation. Et cela est une vraie contrainte pour les investisseurs notamment, puisque lorsqu’on veut construire quelque chose à Saint Pierre, il y a, à juste titre un diagnostic et une fouille. Bien sûr, nous nous félicitons de l’avancée de la recherche et de la conservation des vestiges, néanmoins cela représente un coût supplémentaire.
La question est comment aujourd’hui pourrait-on construire dans ce contexte qui associe la contrainte de vestige archéologique et les contraintes naturelles, alors si on construisait en suspension ? Le challenge des projets est comment construire Saint Pierre autrement ? Cette manifestation associe la découverte d’installations architecturales dans des espaces patrimoniaux et des animations autour du patrimoine architectural de la Ville. »
Programme du Festival
Vendredi 17 Octobre :
En Journée : Les scolaires à la rencontre des équipes et à la découverte des 5 installations et Rallye Archi scolaire
En Soirée : Ciné archi sur inscription
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Samedi 18 Octobre :
En Journée :
- Visite libre des installations
- Visites guidées des installations sur inscription
- Visite guidée autour de l’architecture moderniste sur inscription
- Rallye Archi pour tous
En Soirée : Illumination des installations et concerts
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Dimanche 19 Octobre :
En Matinée : Visite libre des installations et Rallye Archi pour tous
Clôture du festival à 12h00
Les projets lauréats
« Étoffe », dans les ruines de la chapelle de l’asile Bethléem. Réinvestir La chapelle de l’asile autrefois un lieu de souffrance, une réflexion artistique sur la guérison invite à une déambulation du public dans une structure textile de lés rouges.
Fabrice Henri, Mathieu Nouhen, Quentin Jousselme
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« Membres fantômes », sur les ruines de l’église du Fort. En référence à la sensation courante de la présence d’un membre après son amputation. Structures en nasses.
Pastel Benoît, Johann Capgras
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« Tèmpl », structure en bambou à l’embouchure de la Roxélane.
Benjamin Vitry, Bastien Tanguy, Romain Beziat
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« Ce que le temps suspend », rue de la prison, un ciel de rue composé de drapés.
Valentine Bescond, Leeloo Dannhauer, Léa Forgereau
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« Anba soley ka fé lavi », rue de la Raffinerie, « un espace racontant avec légèreté un « après » qui respire la joie, en contraste avec un « avant » tumultueux ».
Corentin Divol, Lisa Liffraud, Léa Broco, Vincent Lussac