Mais où est “notre” Caraïbe – et “Nous-mêmes” dans tous ces “événements” ?
Il est plus que temps que les Caribéens que nous sommes “ou que nous prétendons être” – et cette nuance est importante – fassent converger vers nos réflexions les réalités économiques, politiques, culturelles de nos voisins et voisines…
En ce qui me concerne, j’ai acquis la conviction que nos ancêtres, c’est-à-dire nos pères, nos mères, leurs pères, leurs mères, et ainsi de suite jusqu’au début de leurs implantations sur cette île, ont parfaitement paramétré leur choix, apprécié les obstacles à franchir, et permis à leurs descendants, c’est-à-dire vous et nous d’aujourd’hui, de “dominer la domination”.
En fait, il y a deux poèmes de deux de nos plus grands écrivains qui se font face dans la description de nos “nous-mêmes” :
Césaire et Damas.
Aimé Césaire et Léon Gontran-Damas…
Césaire écrit ceci :
“Et dans cette ville inerte, cette foule criarde si étonnamment passée à côté de son cri comme cette ville à côté de son mouvement, de son sens, sans inquiétude, à côté de son vrai cri, le seul qu’on eût voulu l’entendre crier parce qu’on le sent sien lui seul ; parce qu’on le sent habiter en elle dans quelque refuge profond d’ombre et d’orgueil, dans cette ville inerte, cette foule à côté de son cri de faim, de misère, de révolte, de haine, cette foule si étrangement bavarde et muette.”
(fin de citation)
Et face à lui Damas
“LA TORCHE DE RESINE – portée à bras d’homme – ouvrant la marche – dans la nuit du marronnage – n’a jamais cessé à dire vrai d’être ce flambeau transmis d’âge en âge et que chacun se fit fort de rallumer en souvenir de tant et tant de souvenirs”.
(Poème inédit de Damas qui a servi d’épitaphe sur son tombeau au cimetière de Cayenne – Guyane française)
Ainsi est bien posée la problématique “fondamentale” de ce pays :
“Foule inerte” ? ou “Foule intelligente” ?
“Foule à côté de son cri” ? ou “Foule d’âge en âge, transmettant (notre flambeau)” ?
Lorsque les “porteurs” de flambeau, (dans notre réel, 8 fois sur 10, les “Porteuses” de flambeau) ont compris la cruauté de notre histoire, et ce, face à l’énorme répression qui a frappé Bissette (Guy Cabort-Masson, ici, je salue tes perspicacités) ainsi que 300 ou 400 (“hommes”) “libres” des années 1845/1848, elles ont choisi cette stratégie silencieuse qui a accouché de notre “peuple”, de ce peuple actuel, dont chaque silence est une note d’intelligence…
Car pour comprendre et surprendre “le maître”, non pas ceux d’ici, mais ceux de là-bas qui du fond de leurs certitudes, de leurs sciences, de leurs forces, dominaient (et dominent) le monde, il fallait à la fois, du silence apparent, de l’intelligence, du courage, de l’abnégation et de l’investissement…
Oui, elles (surtout elles) ont investi sur leur progéniture : Apprenez, ont-elles décidé, la langue du dominant, apprenez ses sciences, Apprenez ses mathématiques, Apprenez ses cultures. Apprenez la Grèce et Rome Antiques, Apprenez le Latin et le Grec, Apprenez Freud et le reste. Apprenez les grandes équations mathématiques… D’ABORD…
Et alors, et, nécessairement, ensuite, vous pourrez revenir vers nous, ce peuple …et alors, et nécessairement, desserrer les liens des chaînes des ignorances…
Vous voulez quelques exemples ?
C’est Césaire lui-même qui tirera la substantifique moelle de Normale Sup., ou des sciences et des cultures adjointes, et qui muni de ces enseignements indispensables, les retraduira pour nos peuples et nos races – jusqu’alors (et pour cause) dominées… Cassant ainsi et de manière irréversible le maillon le plus important de la chaîne des dominations et des asservissements…
Je pourrais ici parler de ma mère, Anita, qui a assumé cela, mais je respecte trop ses discrétions pour élargir ce propos…
Je pourrais aussi parler de la mère d’Edouard Glissant, quittant les hauteurs de Sainte-Marie pour, après une traversée plus que probablement très pénible, a réussi à trouver au Lamentin, un lieu ou “germinera” une intelligence, qui, juste après celle réussie par Césaire, marquera ces années-là…
Je pourrais parler de la mère d’André Aliker, qui saura les accueillir (c’est elle qui a aidé de manière décisive la mère d’Edouard) et qui surtout a généré toute une foison d’enfants, dont chacun entrera dans l’histoire de ce pays, y compris celui (héros actif) qui décidera de venger son frère torturé…
Je pourrais parler de cette femme ouvrière agricole du Lamentin, et qui, lors des “événements” du 24 mars 1961, a déposé deux de ses enfants devant le (petit) commissariat de cette ville avec cette apostrophe “Mi yo”. Mwen ka alé goumin épi sé kamarad mwen… Si an bagay rivé mwen, sé zot ki kay responsab yo… “. Je crois que cette dame vit toujours et l’une de ses enfants – je ne sais pas si celle-ci était dans la corbeille de mars 1961 – occupe ou a occupé un rôle éminent dans cette commune…
Je pourrais parler de ce récit de Jean-Claude Duverger ou celui-ci parle de sa mère (08 enfants s’il vous plaît) et qui surprend par une prévenance extraordinaire la confection, d’un café ou d’un thé au petit matin de “bonneHeure” mais avec ce talent si extraordinaire de ce conteur et cette histoire, pour moi, résume à elle seule, toute la force de ces femmes qui ont FAIT ce pays…(J-C, donne-nous l’autorisation de publier sur notre site l’hommage que tu lui rends)
C’est pourquoi mon drapeau à moi est bleu, mais avec des dizaines d’étoiles qui le constellent, car chacune d’elles représente une de nos mères, dont les silencieuses attentions, ont littéralement peuplé notre pays de savoirs et de vraies intelligences…
Henri (LUC) PIED