L’Agence Française de Développement (AFD) a récemment présenté son « bilan 2022 » pour la Martinique. Un bilan notamment caractérisé par un engagement majoritaire à l’endroit de nos diverses collectivités. Et par un « changement de braquet »… . Les précisions de Nicolas Picchiottino, le directeur de l’établissement sous nos cieux.

Antilla : Cent-dix millions d’euros signés et 101 millions versés par l’AFD en 2022 : quel « enseignement » tirer de cela ?

Nicolas Picchiottino : Cela signifie que les collectivités – qui sont essentiellement les bénéficiaires de ces fonds – ont fait les efforts suffisants pour accéder à ces fonds. Comme vous le savez, quand nous signons des contrats de prêts avec les collectivités nous signons aussi un protocole financier qui implique la commune sur une trajectoire de redressement. Et nous conditionnons le versement des fonds au respect de cette trajectoire. C’est donc un message très positif : ça veut dire que des collectivités font des efforts, qui leur permettent de pouvoir bénéficier des fonds de l’AFD.

Cent dix millions signés et 101 millions versés : cela veut-il dire que 09 millions n’ont pas été versés ? Faut-il le comprendre comme cela ?

Un peu, même beaucoup, mais pas uniquement car sur un peu plus de 70 millions qui ont été signés, il reste un peu moins de 30 millions à verser. Et dans ce qui a été versé il y a 23 millions d’euros de prêts qui ont été versés à des entreprises. Il s’agit là de projets signés en 2021, et qui ont été versés en 2022.

De quels projets s’agit-il ?

De deux grands projets : la suite des éoliennes de Grand-Rivière, et l’extension de l’aéroport avec la SAMAC*. Donc sur ces 110 millions d’euros il nous reste à peu 30 millions à verser, notamment car certains de nos engagements s’étalent sur plusieurs années et prendront donc un peu plus de temps pour être versés.

« Ces prêts de préfinancement permettent d’avancer des fonds, donc de lancer des chantiers »

 Quelles sont les autres caractéristiques saillantes de ce bilan 2022 ?

La montée en puissance des prêts de préfinancement, c’est à dire cette facilité de trésorerie que nous offrons aux collectivités, qui reçoivent des subventions afin de pouvoir mettre en œuvre leurs projets. Comme vous le savez également, la trésorerie des collectivités étant assez faible elle ne leur permet pas d’avancer des fonds. Ces prêts de préfinancement permettent d’avancer des fonds, donc de lancer des chantiers. Et aujourd’hui c’est quasiment un quart de nos engagements, contre 05% il y a quatre ans. En Martinique le taux de subventions des projets est d’environ 80%, ce qui est énorme. Autre caractéristique importante : nous avons versé 850.000 euros de subventions, qui peuvent être des aides pour rationnaliser la masse salariale, pour se projeter financièrement sur les 3 à 5 prochaines années et surtout pour de l’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (AMO), pour accélérer certains projets. A ce sujet un grand projet concerne le recul du trait de côte à Trinité, pour 120.000 euros. Dans les grandes lignes, un cabinet de consultant(s) vient faire une analyse scientifique sur l’évolution de ce trait de côte, essentiellement sur la presqu’île de la Caravelle : ils feront une projection, à dix ans, sur comment le niveau de la mer augmentera, quels impacts cela aura, notamment sur les habitations, donc quelle politique de relogement il faudra mettre en place, etc.

Le vaste « chantier » du renforcement parasismique des écoles de nombre de nos communes, a-t-il avancé comme le souhaitait l’AFD ?

Cette année moins que ce que j’aurais pu espérer, pour être honnête. Nous avons beaucoup plus travaillé sur le changement climatique, mais je dois dire que je suis un peu déçu. Certes on ne peut pas tout faire, mais j’aurais bien aimé avoir plus de projets de confortement parasismique des écoles, d’autant que le ‘’package’’ que nous proposons en ce sens est très attractif.

« Sur ces 101 millions d’euros il y a 23 millions pour les entreprises et 78 millions pour les collectivités »  

En termes de destinataires, quelle est la répartition des 101 millions d’euros versés ? Essentiellement à l’endroit de nos collectivités locales ?

Oui, d’ailleurs cette année nous n’avons quasiment travaillé qu’avec ces collectivités. Sur ces 101 millions d’euros il y a donc 23 millions pour les entreprises et 78 millions pour les collectivités : la CTM, les trois EPCI (communautés d’agglomération, ndr) et les municipalités. Et ce qu’on peut noter comme évolution par rapport à 2021, c’est la baisse de nos actions dans le secteur médico-social et la santé. Pourquoi me direz-vous ? Parce que tout le monde attend les fonds du ‘’Ségur de la santé’’ et que nous sommes donc dans une phase de préparation. Cela fait partie de nos perspectives pour cette année 2023 : d’ailleurs nous finançons le nouveau centre de l’association ‘’Martinique Autisme’’, à Saint-Joseph, et nous accompagnerons l’ADAPEI* sur plusieurs projets, notamment l’extension de leur maison d’accueil spécialisée, à Rivière-Salée. Et concernant les entreprises nous avons pas mal d’ambitions en 2023, notamment sur la thématique hôtelière avec des projets d’extension-rénovation ou de construction.

Le « bilan 2021 » de l’AFD en Martinique indiquait un engagement de 193 millions d’euros : quelles sont, pour conclure, les différences essentielles entre ces deux derniers bilans ?

La grande différence c’est la santé et le médico-social. Et la confirmation que l’AFD est une agence contracyclique, c’est-à-dire que notre action est encore plus renforcée en période de crise(s). C’est peut-être d’ailleurs une façon de voir le verre à moitié plein : c’est qu’on est en train de sortir de la crise. A l’époque nous avions beaucoup travaillé sur la ‘’riposte Covid’’ et tous les investissements faits par les collectivités. Pour conclure, l’AFD a travaillé sur trois grands projets emblématiques de ‘’lutte’’ contre le changement climatique, notamment le retour de l’investissement à Fort-de-France, avec 16 millions d’euros pour la ville. Depuis plus de 10 ans c’est la première fois que nous retravaillons avec cette municipalité et ce sont ses efforts, réalisés dans le cadre du COROM*, qui lui permettent de réinvestir, et ce pour trois grands projets : le ‘’Plan Lumière’’, avec le remplacement par des lampes de type LED, soit 70% d’économies d’énergie et une attractivité renforcée ; la sécurisation de Morne Calebasse ; et l’aménagement – parcours santé, balisage etc. – de la forêt de Montgérald, qui est un poumon de biodiversité dans Fort-de-France. Nous avons donc un peu changé de braquet et réduit la voilure par rapport à 2021, année exceptionnelle suite à la crise Covid, et avons recentré nos actions sur la lutte contre le changement climatique.

Propos recueillis par Mike Irasque

*SAMAC : Société Aéroport Martinique Aimé Césaire. Le ‘’Ségur de la santé’’ est une consultation, en 2020, des acteurs du système français de soins, à l’issue de laquelle des fonds ont été annoncés pour l’hôpital public, notamment en Martinique. ADAPEI : Association Départementale des Amis et Parents de Personnes Handicapées Mentales. COROM : Contrat de Redressement Outre-Mer.

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