Près de six Martiniquais sur dix perçoivent une aide de la Caisse d’allocations familiales. RSA, allocations familiales, aides au logement, prime d’activité : le système de transferts sociaux joue un rôle crucial dans le revenu des ménages, mais il alimente aussi un débat récurrent sur la dépendance aux prestations et l’incitation au travail.
Une couverture sociale très large
En décembre 2021, la CAF recensait 104 500 foyers allocataires en Martinique, soit 207 100 personnes, l’équivalent de 57 % de la population. En 2024, le nombre s’établissait à 103 420 allocataires, pour un montant de prestations supérieur à 816 millions d’euros.
Trois grands blocs structurent ce système.
Les besoins familiaux concernent 47 600 foyers, dont près de 9 000 bénéficient de la prestation d’accueil du jeune enfant. Le domaine de l’insertion et de la solidarité touche 71 700 foyers, avec 60 700 personnes couvertes par le RSA, 57 300 par la prime d’activité et 11 700 par l’allocation aux adultes handicapés. Enfin, les aides au logement soutiennent 36 200 foyers, soit environ 20 % de la population.
À ces prestations s’ajoutent des dispositifs ponctuels comme le chèque énergie, qui a aidé 87 000 ménages en 2022, ou encore la Complémentaire santé solidaire.
Un contraste marqué avec l’Hexagone
Comparée à la métropole, la Martinique affiche une couverture sociale plus large : 57 % de la population perçoit une aide CAF, contre 49 % en France hexagonale. La part de foyers bénéficiaires du RSA est également trois fois plus élevée : 34 % contre 13 %.
Les aides au logement couvrent environ un cinquième des habitants, mais avec une différence majeure : l’APL n’existe pas en Martinique. Elle a été remplacée par l’allocation de logement familiale (ALF) et l’allocation de logement sociale (ALS), moins favorables financièrement. Cette absence s’explique par l’histoire du logement social outre-mer, financé par la Ligne budgétaire unique et non par les prêts conventionnés de droit commun. Autre particularité : les allocations familiales sont versées dès le premier enfant en Martinique, alors qu’elles ne débutent qu’à partir du deuxième en métropole.
La pauvreté, un facteur structurant
Environ 27 % des Martiniquais vivent sous le seuil de pauvreté, soit 44 300 ménages. Pour ces foyers, les prestations sociales représentent en moyenne près de la moitié des revenus, loin devant les revenus d’activité qui ne comptent que pour un cinquième.
Le rôle des transferts sociaux dans la réduction des inégalités est donc déterminant, mais il nourrit aussi la crainte d’un « piège à inactivité ».
Le travail reste néanmoins plus rémunérateur que l’inactivité
La comparaison des revenus confirme que, pour un célibataire sans enfant, le travail au SMIC reste plus avantageux que le RSA ou l’allocation chômage. En mai 2025, le salaire minimum net s’élevait à environ 1 426 euros. Avec la prime d’activité, le revenu disponible atteignait entre 1 580 et 1 660 euros. À titre de comparaison, le RSA pour une personne seule s’élève à 646 euros bruts, soit 569 euros versés en moyenne après forfait logement. Même complété par les aides au logement et le chèque énergie, ce montant reste nettement inférieur. Quant à l’allocation de retour à l’emploi, son montant dépend du salaire antérieur, mais il demeure généralement en deçà du SMIC et n’est accordé que pour une durée limitée.
Comment favoriser le retour à l’emploi ?
Le débat porte moins sur le niveau des prestations que sur la capacité à réduire les freins au travail. Plusieurs pistes sont avancées.
D’abord, renforcer l’écart net entre emploi et inactivité en ajustant la prime d’activité et en sécurisant la reprise d’emploi.
Ensuite, lever les obstacles hors salaire, en développant l’offre de garde d’enfants ou en facilitant la mobilité (les transports). La formation est également décisive pour répondre aux besoins locaux, dans des secteurs en tension comme la santé, le bâtiment, la transition énergétique, la logistique ou l’hôtellerie. Enfin, l’accompagnement individualisé des demandeurs d’emploi et la lutte contre le non-recours aux droits sont jugés essentiels.
Entre soutien vital et dépendance durable
En Martinique, les aides sociales constituent un filet de sécurité indispensable face à une pauvreté structurelle et un chômage élevé. Mais elles révèlent aussi un dilemme : comment préserver la solidarité tout en redonnant du sens et de l’attractivité au travail ? C’est à cette équation, mêlant justice sociale et dynamisme économique, que devront répondre les politiques publiques à venir.
Jean-Paul Blois



