Paris, le samedi 6 novembre 2021 – « La France a le meilleur système de santé au monde » pavoisaient régulièrement jusqu’à encore récemment nos ministres de la santé. Pour beaucoup, c’est pourtant déjà une vieille antienne, devenue grotesque à force d’avoir été répétée et détrompée régulièrement par les faits. Pourtant, certains classements continuent encore à l’affirmer. Ainsi, récemment le magazine Ceoworld s’est intéressé aux systèmes de santé de 89 pays, en analysant une centaine de critères, dont les plus importants étaient la qualité des soins, les compétences des professionnels et le coût des soins. Résultat : la France se situe à la septième place et au troisième rang européen après le Danemark et l’Autriche, tandis que la Corée du Sud et Taïwan occupent les deux premières places. Ces classements et comparaisons sont cependant toujours susceptibles d’être si non contestés au moins nuancés. D’ailleurs, dans un livre récemment paru, intitulé Which Country Has the Best Health Care ?, l’oncologue américain Ezekiel J. Emmanuel se montre moins prévenant vis-à-vis du modèle français. Il souligne en effet que si la liberté de choix des médecins ou encore le faible coût de l’ensemble des soins représentent effectivement des atouts majeurs de notre système, il souffre d’un cruel manque d’innovation.

Rien de nouveau

La grande majorité des professionnels de santé hospitaliers ne pourront probablement qu’abonder dans son sens. Mais ce défaut d’innovation n’est pas à rechercher dans l’absence de numérisation ou dans un accès trop lent à certaines nouvelles technologies, il se manifeste de façon bien plus prosaïque par des locaux parfois totalement délabrés (l’absence d’eau chaude a par exemple été signalée récemment par une sénatrice dans le service de neurologie du Kremlin-Bicêtre !), par des équipements de base dysfonctionnant et qui ne sont pas remplacés et surtout par une sclérose organisationnelle. « La médicalisation de la gouvernance hospitalière manque singulièrement d’ambition par rapport à d’autres systèmes de santé européens, bien en avance sur le nôtre », remarquaient ainsi en septembre dans une tribune publiée dans Le Monde plusieurs praticiens hospitaliers (Jean-François Colombani [Martinique], Mehdi Medjoubi [Valenciennes], Arianne Sultan [Montpellier] et Benjamin Wyplopsz [AP-HP]).

Bien avant la Covid

Le malaise est très ancien. « Dès les années 2000, un certain nombre de PH ont quitté l’hôpital public qui a ainsi perdu une partie de sa cheville ouvrière. Ces départs ont été suivis par la démission de PU-PH de CHU en direction du privé, événement inimaginable quelques années auparavant. Ainsi, le dépérissement de l’hôpital public n’est pas récent et s’est déroulé progressivement sur les vingt dernières années » rappellent ainsi les auteurs de ce texte. Depuis la même époque, on ne compte plus le nombre d’alertes lancées par les syndicats et de tribunes signées parfois par des chefs de service pour signaler le délabrement de l’hôpital public. « Les sous-effectifs persistants dans les services, le manque de lits, dits « d’aval », pour les patient·es devant être hospitalisé·es à la sortie des urgences, la sous-rémunération des paramédicaux, ont pour conséquences des démissions ou des arrêts maladies des personnels soignants, toutes professions confondues, et une surcharge de travail concomitante. Pour les patient·es, l’accueil est maintenant souvent dégradé et, parfois, des dysfonctionnements importants ont lieu remettant en cause la qualité de la prise en charge. L’accueil des malades dans l’isolement familial ou social est devenu défaillant » écrivait ainsi en 2019 un collectif d’associations dans Libération.

A Blois, tout va bien !

L’épidémie paraît cependant avoir encore accéléré cette dégradation chronique. Il ne se passe désormais plus une semaine sans que l’ampleur des fermetures de lits ne soit rappelée. Cette semaine, dans le Monde, plusieurs chefs d’unités neuro-vasculaires parisiennes décrivaient ainsi une catastrophe : « Nous assistons aujourd’hui à une situation sans précédent. En Ile-de-France, 12 % des lits d’UNV sont fermés, mais c’est particulièrement à Paris que la situation est explosive avec près de 30 % des lits fermés (71 lits fermés sur les 258) et 50 % des postes infirmiers non pourvus ». Dans le Figaro, l’infirmier et juriste Vincent Lautard membre actif du mouvement le Printemps Républicain décrit de manière plus générale : « De nombreux lits d’hospitalisation, voire des services entiers sont fermés à cause du manque de professionnels de santé. Les Français mettent sur certains territoires, plusieurs mois pour trouver un médecin généraliste ou un spécialiste disponible. Les problématiques que nous connaissons depuis 20 ans, refont surface, majorées par une épidémie qui a fini de décourager des soignants à bout de souffle ».

Face à cette situation, le gouvernement rivalise de mauvaise foi. Le Dr Alexandre Roux, neurochirurgien et membre du Syndicat Jeune Médecin ironise toujours dans le Figaro : «Notre Ministre de la Santé s’est voulu rassurant en prenant l’exemple du Centre Hospitalier de Blois où seulement 5 lits sur 230 sont fermés. Il devrait visiter d’autres Hôpitaux et il pourrait alors y constater une situation bien différente (18 lits sur 45 fermés dans mon service d’affectation, soit 40 %). «Priorité à la qualité des soins et à la continuité des soins» nous dit-il. Cela ne sera bientôt plus possible ».

Des rustines insuffisantes…

Pourtant, répondant à ces multiples alertes, les plans d’investissement se sont eux aussi multipliés et ont également précédé la crise. On se souvient par exemple du programme «Investir pour l’hôpital » présenté par le Président de la République le 20 novembre 2019. Insuffisant, ont jugé la plupart des acteurs, non pas réellement sur le plan budgétaire mais en raison de son absence de réelle ambition en ce qui concerne la refondation de l’hôpital : «  Le plan «Investir pour l’hôpital», présenté par le gouvernement le 20 novembre, est bien loin de répondre aux besoins humains et matériels qui se présentent à nous aujourd’hui ainsi qu’au défi plus que pressant de refondation de l’hôpital public. La reprise d’un tiers de la dette va bien permettre de dégager des fonds mais le plan ne propose pas un véritable changement du modèle », écrivait ainsi le collectif d’associations dans Libération.

… à l’image du Ségur

« Et le Ségur alors ? Les soignants n’ont-ils pas eu ce qu’ils voulaient ? Un effort indispensable, bien sûr, mais insuffisant, car nous l’avons dit la problématique n’est pas que pécuniaire, loin de là. Bref, un coup d’épée dans l’eau. Les soignants attendaient une réforme structurelle de l’Hôpital Public : rénovation des locaux, achat de matériel, réorganisation du travail, recrutement de personnel soignant… » renchérit Alexandre Roux. « Pourtant, l’hôpital public va bénéficier d’un effort financier colossal inédit depuis des décennies : augmentation salariale du personnel non médical, rattrapage en investissements… Mais le Ségur de la santé améliore insuffisamment la rémunération des médecins et ne change que marginalement l’organisation et la gouvernance de l’hôpital (même si les quelques évolutions sont positives) » regrettaient déjà en septembre les praticiens hospitaliers signataires de la tribune du Monde.

Pas d’Hôpital du futur sans Hôpital du présent

Aussi, les perspectives sont sombres. « Dès lors, dès demain, faute de rénovation, le déficit se renouvellera. L’hôpital se verra une nouvelle fois forcé de déployer des mesures d’économies » prédisait en 2019 le collectif d’associations. Deux ans plus tard, les praticiens hospitaliers ne se montrent guère plus positif : « Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le temps que les déficits réalimentent les dettes, une nouvelle crise hospitalière du même type resurgira. L’argent ne réparera pas les dysfonctionnements organisationnels. Comment allons-nous gérer la désertification médicale qui s’aggrave vers un point de non-retour dans la France « périphérique » ? L’état actuel de notre système de santé ne peut se justifier alors que la France y consacre plus de 11,5 % de son PIB » écrivent-ils dans Le Monde. Dès lors, les présentations dithyrambiques sur l’hôpital du futur ne peuvent qu’exaspérer. Alexandre Roux s’emporte : « Nous nous insurgeons contre les «experts» en Système de Santé qui nous parlent de l’Hôpital de demain, numérique, connecté, soumis à l’intelligence artificielle… Ont-ils déjà mis un pied à l’Hôpital ? Ont-ils déjà soigné un patient ? Connaissent-ils vraiment l’état de notre système de santé ? L’avenir de l’Hôpital Public doit être anticipé et réfléchi, bien sûr, mais l’urgence est au sauvetage de celui-ci. Il n’y aura pas d’Hôpital du futur sans Hôpital du présent ».

Amertume

Le diagnostic est très sombre et le ressenti face aux traitements palliatifs engagés est amer. Les questions restent les mêmes, indéfiniment : « Comment donner envie aux futurs médecins, infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes, orthophonistes, brancardiers de travailler à l’Hôpital Public dans de telles conditions ? Le Président de l’Intersyndicale Nationale des Internes (ISNI) rapporte, preuve scientifique à l’appui, que 39 % des Médecins en formation (Internes) présentent des troubles dépressifs et 20 % des idées suicidaires… De plus, bien que le métier d’infirmier continue d’attirer les vocations (quand on regarde les résultats des plateformes de choix des Lycéens), on retrouve 17 % d’abandon en cours de formation » interroge Alexandre Roux.

Des embauches massives indispensables pour soigner les patients… et les soignants

Les priorités semblent d’abord l’amélioration significative des conditions de travail dont une enquête de la DREES publiée cette semaine (voir un article pro et société d’hier) a signalé qu’elles étaient considérablement moins bonnes pour les salariés du secteur de la santé que pour les autres. Pour ce faire, outre un nouvel effort concernant les rémunérations, des embauches massives s’imposent. Vincent Lautard et le Printemps Républicain préconisent ainsi : « Nous proposons d’établir des ratios obligatoires de soignants, de personnel social et éducatif par service et par nombre de patients/résidents et un moratoire sur la fermeture des lits. (…) Nous proposons de mettre en place un ratio de 1 professionnel pour 1 résident dans les structures médico-sociales (aujourd’hui c’est 0,6 environ) et le développement de structures médico-sociales pour personnes âgées et/ou pour personnes handicapées à taille humaine (pas plus de 40 résidents) », écrit-il.

Sclérose administrative

Une autre attente majeure est la lutte active contre l’embolisation administrative. Alexandre Roux relève : « Selon la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) il y avait en France en 2016, dans les Établissements Publics de Santé, 98 579 emplois médicaux contre 96 191 emplois administratifs. Une telle disparité entre le recrutement massif de personnels administratifs ces dernières années et la carence en personnel soignant est étonnante ». Il ajoute plus loin évoquant les déprogrammations entrainées par l’épidémie et par la pénurie de lits : « Certains médecins passent plus de temps à gérer administrativement ces reports d’intervention ou à rassurer les patients, inquiets d’un tel délai, qu’à pratiquer des soins d’excellence ». De leur côté, les praticiens hospitaliers signataires de la tribune publiée dans le Monde remarquent presque fatalistes : « Un guide « pour mieux manager » est même diffusé par le ministère… Les Groupements hospitaliers de territoire (GHT) continuent à déployer leur surcouche administrative et à déshabiller les petits centres ».

Des propositions controversées

Mais les priorités dessinées par ces observateurs, outre qu’elles s’émancipent de considérations budgétaires pourtant incontournables, ne sont pas toutes aussi consensuelles. Ainsi, Vincent Lautard défend deux idées très controversées dans la communauté médicale : « Demander aux médecins de pratiquer 2 ans dans une zone sous-dotée en médecins pendant leur carrière dans la région où ils sont installés. Cette pratique pourra se faire en continu ou discontinu et s’accompagnera d’une augmentation de la rémunération des médecins. (…) Augmenter rapidement les compétences de l’ensemble des paramédicaux. Cette solution a été mise en place dans de nombreux pays étrangers depuis des années et cela a permis un meilleur accompagnement des malades et, une meilleure coordination entre les professionnels de santé. Cela évitera aussi que les paramédicaux travaillent dans l’illégalité pour pallier l’absence de médecins » propose-t-il alors que l’accès direct aux paramédicaux et les transferts de compétences aujourd’hui envisagés par le gouvernement dans le cadre du projet de loi de financement de sécurité sociale ont soulevé une levée de boucliers de la part des syndicats et des Ordres. Néanmoins, au-delà de la sphère syndicale, certains praticiens affirment faire confiance aux paramédicaux pour que ce type d’évolutions ne se fasse pas au détriment de la qualité des diagnostics et des prises en charge (voir par exemple la contribution du cardiologue Florian Zorres sur ce sujet sur Twitter).

Un enjeu majeur de la campagne présidentielle

Quelles soient très consensuelles ou plus controversées, ces propositions confirment l’importance du désir de voir ces sujets prendre une place majeure dans la future campagne présidentielle. Jean-François Colombani et ses confrères concluent ainsi : « La campagne présidentielle à venir doit se saisir du thème de la réforme hospitalière et plus largement de la santé afin que le prochain quinquennat soit l’occasion d’un indispensable changement de paradigme ». Par ailleurs, quand les propositions de Vincent Lautard s’inscrivent clairement dans le cadre de la campagne présidentielle, Alexandre Roux insiste : « Notre futur Président aura la lourde responsabilité de ranimer l’Hôpital Public via des mesures courageuses et ambitieuses car si la santé a un coût, elle n’a pas de prix ».

Aurélie Haroche

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