Le projet de « retour du service militaire » s’impose aujourd’hui comme l’un des paris politiques les plus structurants d’Emmanuel Macron. Dans un paysage institutionnel fragilisé et une Europe de nouveau confrontée à la guerre sur son continent, le chef de l’État cherche à la fois à répondre aux enjeux stratégiques, à redonner de la cohérence à son action intérieure et à reprendre l’initiative dans un champ politique profondément fragmenté.
Concrètement, le dispositif envisagé repose sur la transformation du Service national universel, qui n’a jamais atteint les objectifs affichés depuis sa création. Celui-ci serait remplacé par un service militaire volontaire d’une durée d’environ dix mois, ouvert aux jeunes de 18 ans et assorti d’une rémunération comprise entre 900 et 1 000 euros mensuels. La montée en charge serait progressive : quelques milliers de volontaires dès 2026, pour atteindre, à terme, plusieurs dizaines de milliers de participants à l’horizon 2035.
Sur le plan stratégique, ce projet s’inscrit dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine, la perception d’une menace russe durable aux frontières européennes et la multiplication des conflits dits « hybrides ». L’objectif affiché est clair : reconstituer un réservoir de forces mobilisables à travers une réserve étendue, afin de préparer le pays à l’hypothèse d’un conflit majeur, tout en réaffirmant le lien fondamental entre l’armée et la nation.
Mais cette initiative est aussi un geste politique fort sur la scène intérieure. À un moment où son pouvoir exécutif est affaibli par la dissolution de l’Assemblée nationale et où la réforme des retraites, pilier de son second quinquennat, est partiellement remise en cause, Emmanuel Macron tente de repositionner son autorité en tant que chef des armées. En inscrivant un marqueur fort de souveraineté et de défense dans son bilan, il cherche à reconquérir un électorat préoccupé par les questions de sécurité et de cohésion nationale, tout en occupant un terrain idéologique disputé par l’extrême droite comme par une partie de la gauche.
Le projet s’adresse aussi directement à la jeunesse. En proposant une rémunération relativement attractive sur dix mois, le gouvernement entend séduire des jeunes en quête de ressources, de repères et de débouchés professionnels, notamment dans les territoires en difficulté. Ce service volontaire vise également à familiariser une nouvelle génération avec l’institution militaire, dans le prolongement de l’ambition initiale du SNU : forger un esprit civique, une discipline collective et un sentiment d’appartenance nationale.
Reste que le projet cristallise de nombreuses critiques. Son coût potentiel, évalué à plusieurs milliards d’euros à terme, suscite de fortes réticences dans un contexte de contraintes budgétaires sévères. Il pose aussi la question des priorités entre les dépenses de défense, l’éducation, la santé ou la protection sociale. Enfin, il ravive un débat de société sensible sur un possible retour, à plus long terme, d’une forme de conscription obligatoire, sur les risques d’endoctrinement d’une partie de la jeunesse et, dans les rangs militaires eux-mêmes, sur la crainte de voir s’imposer une nouvelle forme de contrainte dans des armées déjà soumises à de fortes tensions capacitaires.
Au-delà de l’annonce, le projet de service militaire volontaire apparaît ainsi comme un révélateur des lignes de fracture contemporaines : entre sécurité et libertés, souveraineté et contraintes budgétaires, cohésion nationale et défiance sociale. Un pari politique majeur, dont les effets se mesureront bien au-delà du seul cadre militaire. JPB



