La Caraïbe a retrouvé en 2024 un niveau record de fréquentation touristique, tirée par le marché américain et une offre qui se polarise entre destinations de masse et niches haut de gamme. Derrière les chiffres, se dessine une dépendance économique croissante, mais aussi une forte différenciation des modèles.
Des visiteurs venus d’abord d’Amérique du Nord
premier bassin émetteur reste de loin les États-Unis, qui représentent plus de la moitié des arrivées dans la région. Le Canada et l’Europe (notamment le Royaume-Uni et la France) complètent le trio de tête. Certains marchés latino-américains progressent également, comme la Colombie et l’Argentine vers la République dominicaine.
République dominicaine et Bahamas en tête
La République dominicaine domine le tourisme de séjour avec plus de 8,5 millions de visiteurs en 2024, soit près d’un quart du total caribéen. Les Bahamas, port d’attache des grandes compagnies de croisières, ont franchi pour leur part le seuil des 11 millions de visiteurs (air + croisière).
La Jamaïque (4,3 M) et Cuba (2,2 M) complètent le podium régional.
Infrastructures : une concentration inégale
Les capacités hôtelières sont massivement concentrées :
La République dominicaine : environ 90 000 chambres, soit 40 % de l’offre régionale.
La Jamaïque : 35 000 chambres.
– Bahamas : 16 000 chambres.
À ces infrastructures terrestres s’ajoutent des hubs aériens puissants, tels que Punta Cana (10 M de passagers en 2024) et Nassau (4 M).
Le luxe insulaire, vitrine de la région
La Caraïbe n’est pas seulement une destination de masse. Certaines îles cultivent une image de refuge haut de gamme, où le prix moyen d’une chambre (ADR – Average Daily Rate) dépasse largement la moyenne régionale (437 $ en 2024).
– Saint-Barthélemy : plus de 2 000 $ la nuit en moyenne.
– Turks & Caicos : environ 1 600 $.
– Îles Caïmans : au-delà de 600 $.
ˆ Aruba : dépense moyenne de 308 $ par jour et par visiteur.
Ces territoires, aux volumes modestes, se distinguent par une valeur ajoutée bien supérieure.
La Martinique : un repositionnement encore fragile
La Martinique a accueilli environ 988 000 visiteurs en 2024, dont une majorité de touristes de séjour. Si l’île reste loin des chiffres caribéens majeurs, elle a battu un record avec une dépense directe estimée à 600 M€, en hausse de près de 19 % par rapport à 2023.
Le marché émetteur reste très dépendant de la France hexagonale (68 % des séjours), même si la part des visiteurs étrangers progresse (35 % désormais). La croisière représente encore une fraction importante, mais l’enjeu est d’accroître le tourisme de séjour long et le panier moyen par visiteur.
La Martinique souffre d’un déficit d’infrastructures haut de gamme par rapport à ses voisines. Le parc hôtelier, réduit à environ 3 600 chambres, reste modeste et vieilli, marqué par des friches hôtelières. L’essentiel de l’offre se concentre sur l’hébergement de moyenne gamme et sur les locations saisonnières.
L’île n’a donc pas, pour l’heure, la capacité d’attirer massivement le segment « luxe » qui alimente Saint-Barth, les Caïmans ou les Turks & Caicos.
Pour autant, elle dispose d’atouts spécifiques :
Une identité culturelle et patrimoniale forte, susceptible de séduire des clientèles en quête d’authenticité ; une position géographique stratégique entre Amérique du Nord et Amérique latine ; une dynamique récente de tourisme durable (randonnées, écotourisme, gastronomie locale).
Le véritable défi est d’élargir la base de clientèle hors Hexagone, en s’appuyant sur les marchés nord-américains et caribéens, tout en modernisant l’offre d’hébergement pour répondre aux standards internationaux.
Un moteur économique fragile
Pour certains micro-États insulaires, le tourisme constitue une part démesurée du PIB : 70 % à Aruba ou aux Bahamas, 87 % à Antigua-et-Barbuda. Une telle dépendance fait de la Caraïbe l’une des régions les plus vulnérables aux crises sanitaires, climatiques ou géopolitiques.
La Martinique, dont le tourisme représente environ 7 % du PIB, reste moins dépendante, mais court le risque d’un sous-investissement chronique dans un secteur pourtant porteur.
Vers quel modèle ?
L’équation est délicate : concilier tourisme de masse, qui fait vivre des dizaines de milliers de familles, et tourisme premium, qui rapporte davantage mais reste socialement excluant. Pour la Martinique comme pour ses voisines, l’enjeu est de transformer la manne touristique en développement durable, en valorisant ses atouts culturels et environnementaux tout en comblant son retard en infrastructures.
Jean-Paul Blois



